Un article paru dans BFM BUSINESS :
Dans un rapport paru mercredi, la Cour des comptes déplore la distribution de subvention à des films et des fictions TV vus par très peu de spectateurs
Mais que fait le Centre national du cinéma (CNC) de tout son argent ? Pendant des mois, les limiers de la Cour des comptes ont cherché la réponse. Leurs conclusions, assez critiques, ont été publiées mercredi 3 octobre.
Comme toujours dans les rapports de la Cour, on trouve quelques perles. Ainsi, on apprend que l’établissement public dépense 618 000 euros l’an en frais de réception, dont près de 100 000 pour sa cérémonie des voeux qui réunit le gratin du secteur... On constate aussi que l’effectif est stable, mais que les salaires augmentent beaucoup, ce qui a fait bondir la masse salariale de 35% depuis 2001, "une croissance deux fois plus rapide que celle des aides distribuées". On relève en outre que 77 millions d’euros d’aides sont distribués chaque année à divers festivals ou associations (cf ci-contre).
Surtout, le CNC a dépensé 120 millions d’euros pour subventionner l’achat de projecteurs numériques pour les plus petites salles, notamment à la campagne. Le rapport note que le nombre d’écrans à subventionner a récemment été revu à la hausse, passant de 1000 à 1800. surtout, il s’interroge sur la "justification économique" de ces aides : "Certaines salles auraient vraisemblablement été en mesure de financer seules cette mutation. Cet investissement apparaît comme un exemple symptomatique de l’absence d’arbitrage budgétaire en amont".
Mais l’essentiel de l’activité du CNC consiste à distribuer des subventions à des films et des oeuvres télévisés. Depuis 2007, chacune de ces aides a augmenté plus ou moins fortement, le total croissant de 23% (cf. ci-contre).
Une partie de cet argent est allé dans des nouvelles subventions : huit ont été créées depuis 2007, sans pour autant supprimer les anciennes. "La logique économique qui préside à la création de nouvelles aides n’apparaît pas clairement", euphémise le rapport. Résultat, "les dispositifs s’empilent et se multiplient" : on dénombre aujourd’hui pas moins de 66 subventions différentes distribuées par le centre...
Des oeuvres peu vues
Côté films, le rapport pointe la politique "productiviste" du CNC. Le nombre de films produits en France est ainsi passé de 204 à 272 en dix ans, ce qui fait de l’Hexagone le leader européen. Certes, selon le CNC, cela permet au cinéma français de conserver une forte part de marché. Mais, selon le rapport, cette part de marché est due à quelques gros succès. Car la plupart des films français font des bides, et même de plus en plus : 60% des films produits en 2010 ont réalisé moins de 50 000 entrées, contre 51% dix ans plus tôt. Explication : ces films sont à l’affiche à peine "quelques semaines" dans très peu de salles (la moitié des films français sortent avec moins de 50 copies). Au final, "la multiplication du nombre de films produits et exposés en salles (595 en 2011) ne peut, dans ces conditions, qu’entraîner un taux d’échec structurellement important".
Pour la Cour, il est temps de tirer la sonette d’alarme : "soutenir la production cinématographique sur des fonds publics n’a de sens que si le film produit a des chances d’être convenablement exposé". Le rapport "s’interroge" donc sur ce soutien à "des films qui ne pourront rencontrer, pour des raisons tenant aux limites matérielles du réseau de salles, qu’un public restreint, voire marginal".
Côté fiction télévisée, la situation est encore pire. Les aides distribuées sont "uniques en Europe dans leur principe et leur volume". Mais l’audience de la fiction française dans son pays d’origine est "parmi la plus faible du continent". De plus, "les programmes audiovisuels français s’exportent de moins en moins bien".
Conclusion : "la politique menée a des résultats mitigés, et la justification de cette augmentation continue des aides reste à établir... "
Conflits d’intérêts
Une partie des aides distribuées par le CNC sont des aides sur dossier, attribuées par des commissions (46 au total), composées de professionnels de la profession (656 au total), tous choisis par le CNC.
Dans son rapport, la Cour dénonce un conflit d’intérêt lorsqu’une commission examine un projet présenté par un professionnel appartenant à une commission. Rien d’anormal, selon le CNC, qui explique rechercher pour ses commissions "les compétences de professionnels actifs". Dès lors, il n’est "pas surprenant qu’il arrive que leurs projets soient eux-mêmes soutenus..." Selon la Cour, lorsqu’il y a une relation, même indirecte, entre un candidat à une aide et un membre de commission, alors ce dernier devrait se faire remplacer de manière "systématique"... ce qui sous-entend que ce n’est pas le cas jusqu’à présent.
Par ailleurs, la Cour déplore aussi le renouvellement "limité" des membres de certaines commissions, qui enchaînent plusieurs mandats à la suite. Le CNC répond que cette "relative pérennité est importante pour permettre aux membres de trouver pleinement leur place et leur autorité dans la commission"...
Quand le riche CNC emprunte à la banque...
Par ailleurs, il peut s’écouler jusqu’à 10 ans entre le jour où une aide est attribuée, et le jour où l’aide est décaissée. Le CNC a donc décidé de mettre de côté toutes les subventions qu’il devra distribuer à l’avenir, constituant ainsi une gigantesque réserve (374 millions d’euros à fin 2011). La Cour, qui avait elle même recommandé de passer de telles provisions, n’en conteste pas le principe. Mais le CNC provisionne 100% des futures aides, alors que certaines ne seront jamais demandées, par exemple en cas d’abandon du projet ou de faillite. "Le CNC n’a aucun modèle pour l’écoulement à venir des provisions. Un assureur qui suivrait la même stratégie ferait assez vite faillite...", pointe la Cour, qui demande à ce que les comptes soit désormais audités par des commissaires aux comptes.
Last but not least, la Cour des comptes étrille la stratégie immobilière du CNC. Aujourd’hui confortablement installé dans le 16ème arrondissement de Paris, il doit déménager, mais refuse de s’installer hors de Paris, et s’est opposé sur ce point à France Domaine qui voulait chercher un site dans la Petite Couronne. Il a notamment refusé de s’installer à la Cité du cinéma de Saint Denis (comme lui proposait France Domaine), ou dans l’ancien musée des arts et des traditions populaires dans le bois de Boulogne (comme suggéré par le ministère de la culture). Récemment, le CNC a envisagé d’acquérir un immeuble quai de Grennelle, mais "France Domaine n’a pas donné son accord", indique le centre.
Plus ubuesque encore, le CNC a acheté en 2010 un immeuble dans le 16ème arrondissement de Paris pour 22 millions d’euros... en empruntant la somme, alors qu’il disposait d’une "trésorerie abondante". Résultat : cela va donc lui coûter près de 9 millions d’euros supplémentaires en intérêts. "Un montage financier discutable et peu judicieux", selon la Cour...