LE MONDE | 04.01.2013 à 16h04 • Mis à jour le 04.01.2013 à 17h15
Je viens de lire la tribune de Vincent Maraval (Le Monde du 29 décembre), et avoue avoir dû la relire plusieurs fois pour me rendre à l’évidence : je suis riche. J’y apprends que je gagne le double de Steven Soderbergh [Ocean’s 13] et sept fois plus que James Gray ou Darren Aronofsky. Les pauvres. Quand ils vont savoir ça, ils vont vite relire leurs contrats et appeler dare-dare leurs agents.
J’avais pourtant commencé à la lire avec intérêt en me disant qu’il y allait fort, son analyse étant plutôt pertinente : les films français sont trop chers car certains acteurs – faut-il entendre par là les têtes d’affiche, car les autres crèvent souvent de faim – touchent des cachets bien supérieurs à ce qu’ils rapportent aux films. Jusque-là, à part balancer quelques noms, ce qui n’est jamais du meilleur goût, on ne peut que lui donner raison, en y mettant toutefois un bémol : les partenaires financiers des films français, dont les distributeurs – comme Wild Bunch, la société de Vincent Maraval –, réclament souvent des têtes d’affiche pour s’engager sur les films, faisant ainsi grimper les prix.
Mais il y a de quoi être choqué, voire énervé, d’apprendre que Marilou Berry toucherait trois fois plus que Joaquin Phoenix... Là, une vérification s’imposait peut-être. Mais après tout, pourquoi pas, Vincent Maraval n’avance pas tout ça sans être bien informé. Et puis patatras ! Juste derrière, il écrit : "(...) Philippe Lioret touche deux fois plus que Steven Soderbergh et sept fois plus que James Gray ou Darren Aronofsky." Et là, je réalise le degré de pertinence des lignes qui précèdent.
J’écris et réalise des films depuis 1992. J’en ai fait sept, soit un film tous les trois ans, années pendant lesquelles je travaille (comme de nombreux réalisateurs français) à la recherche d’un sujet, puis à l’écriture du scénario, qui prend un an ou plus, ensuite on passe au montage financier (car, depuis Toutes nos envies [2010], je me produis moi-même), au casting, à la préparation, au tournage, où je suis aussi cadreur, au montage, au mixage, à l’étalonnage, enfin à la sortie, où je ne ménage pas ma peine (une tournée d’une quarantaine de villes pour mes quatre derniers films).
Pour tout ça, mon salaire de réalisateur n’a jamais excédé (et ce, pour mes deux derniers films, car sur les précédents, je gagnais moins) la somme de 200 000 euros, pour trois ans de travail donc, ce qui fait 5 500 euros brut par mois. C’est une somme rondelette, soit, mais bien inférieure à celle qu’ont touchée les acteurs principaux sur mes films, et certainement bien inférieure au salaire mensuel de M. Maraval, qui entre lui aussi dans le coût global des films, ne l’oublions pas.
De plus, il y a de quoi douter en lisant que Steven Soderbergh ne touche que 132 000 dollars (100 725 euros) par film, et James Gray et Darren Aronofsky, 37 600. Mais ça, laissons-le à ses supputations fantaisistes, car ce qu’il ne prend pas en compte, c’est que ces réalisateurs américains n’écrivent pas forcément leurs scénarios, qu’ils sont entourés de quantité de gens qui les assistent, et surtout qu’ils enchaînent films de studio à gros budget où ils sont payés grassement et films indépendants pour lesquels ils sont souvent intéressés aux recettes, ce que le système français ne permet pas, étant donné la manière dont les films y sont financés par des investisseurs – comme par exemple Wild Bunch, et d’autres.
Par ailleurs, comme il ne le sait peut-être pas, la plupart de mes films, voire tous, ont été rentables, et ont donc rapporté de l’argent à leurs investisseurs, mais pas à moi. Sauf le dernier, Toutes nos envies, qui a eu la mauvaise idée de se retrouver face à Intouchables et m’a laissé sur le carreau. Mea culpa.
J’ai donc été blessé que Vincent Maraval m’assimile à "une minorité de parvenus", qui plus est "profitant du fameux système d’aide du cinéma français". Dans cette assimilation, il affirme sans vergogne que je gagnerais plus que je ne vaux – ce qui est déjà blessant – et de surcroît "grâce à de l’argent public", ce qui est faux, car, à part l’avance sur recettes (une somme minime obtenue uniquement pour mon premier film et qui a été remboursée après exploitation), les capitaux qui entrent dans le financement des films français sont privés : distributeurs, préachat Canal+, préachat chaîne en clair, banques (Sofica)... Et quand la chaîne en clair fait partie du service public, celle-ci divise son apport en deux : un préachat pour une diffusion à l’antenne (sans risque, donc), et une coproduction dont elle touche les remontées financières quand le film marche.
Tout cela est donc faux et très insultant à mon endroit. En d’autres temps, d’autres que moi auraient envoyé deux témoins à M. Maraval. Mais mieux vaut en sourire et se souvenir du proverbe : "Il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler."
Philippe Lioret, réalisateur de "Welcome" et scénariste