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Les décors de JEAN VALJEAN par BERTRAND SEITZ

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  • 12 novembre 2025
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Bientôt dans les salles, Jean Valjean, le film d'Eric Besnard adapté des Misérables de Victor Hugo. Bertrand Seitz raconte les décors du film, où il est grandement question de la contribution des repérages.

Le film n'adapte qu'une partie du roman de Hugo, qui lui-même a donné lieu à des dizaines de films en France et ailleurs. Le roman est une œuvre monumentale. Ce qui intéressait Eric, c’était le basculement du personnage de la haine, vers un homme de valeur et de bonté. Parmi les nombreuses versions filmées, une seule l’inspirait, celle de Raymond Bernard dans les années 1930, très empreinte de cinéma russe, en noir et blanc, avec des noirs très profonds. 

Jean Valjean est votre 8ème collaboration avec Eric Besnard. Comment s’engagent vos discussions autour d’un projet ? C’est très divers. Par exemple, sur le film Délicieux (Autour d’un chef cuisinier sous la Révolution, ndlr), Eric m’a tout de suite cité les natures mortes de Chardin. On peut donc partir d’une peinture mais on parle toujours de bouquins à lire et de films à voir. En général, j'amène des références architecturales et sociologiques, même si la culture d’Eric dépasse largement la mienne, c'est un grand cinéphile et un grand lecteur.

Pour Jean Valjean, en plus de l'architecture qui est notre base de savoir – et aussi ma formation - il a fallu comme toujours réunir une documentation très fouillée sur les marchands de rue, les us et coutumes des villages à l’époque, etc.

Le décor principal est la demeure - un ancien hospice - de l'évêque Myriel, un homme d'église qui a renoncé aux privilèges et chez qui se réfugie Jean Valjean. Comment l'avez-vous imaginée ? En général, Eric et moi lisons ensemble le scénario, dès la première ou seconde version. Or, l'organisation spatiale de la maison de Myriel, telle que la décrivait le scénario, correspondait point par point à celle du roman. Cette maison décrite très précisément, je savais qu’on ne la trouverait pas. Dès lors, on avait deux stratégies. Lancer des repérages, sachant qu’Eric sait très bien adapter son script aux décors retenus. Ou bien, s’il tenait absolument à cette organisation spatiale, entrer en studio et ç’aurait été la première fois en vingt ans de collaboration !

Au vu des financements du film, l’étude chiffrée du studio n’a pas eu besoin d’être aboutie pour être abandonnée, même si la maison de l’évêque était le décor principal. De plus, Eric aime la fluidité intérieur/extérieur, et en studio les raccords auraient été un problème.

La nature et les paysages occupent une place importante dans le film. Tourner en région peut amener des financements. Éric avait fait ses trois films précédents en région Rhône-Alpes. Il trouvait intéressant d'aller en Provence, que traverse Valjean puisqu’il part de Toulon et remonte en marchant vers le Nord. La Haute-Provence c’est rugueux, christique, les lumières d’hiver sont très dures, la végétation stratifiée. Cette liaison entre le paysage et le personnage nous plaisait.

On a donc lancé des repérages avec Antonio Corera et Sébastien Gardet. J’ai besoin d’avoir une très grande affinité avec les repéreurs. Certains veulent évoluer et ne restent pas longtemps à ce poste. Antonio et Sébastien sont des hommes de goût et très efficaces parce que ce qu'ils aiment dans leur métier, entre autre, c'est rencontrer des gens. Au fil du temps, ils nous connaissent par cœur, ils savent ce qu'on aime et ce qu'on déteste. Et ça les autorise à sortir du brief, à nous « désobéir ».

Ou avez-vous tourné les intérieurs ? Au château de Lagnes qui date du XIème, avec des ajouts au cours des siècles suivants. Nous avions d’abord choisi l’abbaye de St Hilaire, classée aux Monuments historiques. Elle pouvait faire l’affaire mais présentait de vrais inconvénients, entre autres une fresque murale à protéger; en veillant au bon degré d’hygrométrie. Nous n’avions pas d’autre option, quand à la toute dernière semaine de repérages, Sébastien me parle de Lagnes dont il n’avait pu avoir l’accès, et puis finalement si, in extrémis grâce à un nouveau contact. Ce château privé appartient à un sculpteur, monsieur Laurent Baude, qui nous à accueilli chaleureusement. C'est un immense château des pas perdus, avec des bassines pour les fuites du toit, pas vraiment délabré mais très encombré, et seules ses murailles sont classées. Il a une magnifique chapelle avec des murs et un sol en pierre, d’une grande hauteur sous plafond et donc d’un énorme écho ! Impossible de tourner avec du son. On a du corriger l’acoustique par une structure en cintres faite de toiles ignifugées.

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La chapelle est devenue la salle à manger de l’évêque Myriel, on en a masqué le chœur par un mur avec une fausse cheminée - mais praticable. On a sculpté des fausses pierres, gommé certaines colonnades car je voulais de la raideur et de la verticalité, pas de courbes. Les peintres ont fait un travail remarquable pour raccorder avec les vrais murs. 

Les autres chambres ont été tournées également dans ce château ? Oui, les pièces ont été entièrement transformées, des couloirs créés. La chambre de l’évêque a été coffrée au niveau des murs. Ils sont tous faux, excepté celui devant lequel la servante range les couverts volés ensuite par Valjean. La seule fenêtre donnait sur une ruelle 25 mètres plus bas. Impossible de s’en servir pour éclairer et faire la fausse pluie. Heureusement, la pièce étant assez grande nous avons construit une feuille avec une fenêtre, pour contrôler facilement la rampe à pluie, et avec l’aide d’un miroir placé à 45°,  inspiré du fameux procédé Shufttan, on a renvoyé la lumière à travers notre fenêtre.

Il y a une unité de chromatique tout au long du film, à l’extérieur comme à l’intérieur. Des tons gris, terreux, rien que de la terre et de la pierre. Toutes les teintes ont été désaturées. Eric parlait d’un film en noir et blanc, tout en sachant qu’il n’en serait rien, il s’agissait plutôt d’une référence vers laquelle il fallait tendre. Au final, cela a surtout été contrôlé par l’étalonnage de Laurent Dailland, le chef opérateur. C’est mieux ainsi car il me semble que le noir et blanc aurait peut-être été trop passéiste.

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Les séquences du bagne sont situées dans une carrière de pierre, un site spectaculaire. La première version du scénario ne mentionnait pas de carrière, elle indiquait « des bagnards qui travaillaient au port ». A Toulon, les bagnards étaient des bêtes de somme qui chargeaient, déchargeaient, creusaient… En réalité, ils étaient logés dans des galères, celles remisées dans le port parce que devenues obsolètes. Ce port de Toulon à recréer, ce n’était pas une petite affaire. Mais comme souvent, nous l’avons mis de côté et lancé les repérages dans différentes directions, autour de grands travaux…Antonio et Sébastien savent qu’Eric et moi, on aime être surpris, que parfois Eric change tout parce qu'il tombe amoureux d'un lieu découvert pendant les repérages. C’est ce qui s’est passé avec la Carrière Sarragan, ils nous offert ce décor.

Cette carrière est-elle toujours en exploitation ? Oui, c'est la toute dernière carrière de pierre de Baux, certaines galeries sont toujours exploitées. Le grand espace à ciel ouvert, l’« agora », ne l’est plus depuis des dizaines d'années, de nombreux spectacles y ont été présentés, notamment lors des festivals d’Avignon. (C'est dans la carrière Sarragan que Jean Cocteau tourna Le Testament d'Orphée en 1960, ndlr)

Cette Agora ouverte aux intempéries, quand nous arrivons sur place, est de couleur noire, vert, ocre rouille et couverte de lichen, tout sauf blanc ! Seules les galeries sont remplies de poussière blanche. La propriétaire acceptait de la faire déposer au sol de l’Agora mais pas sur les parois verticales, elle tenait à préserver l’aspect végétal. Un sol blanc avec des parois noires…je n’y croyais pas, ça n’allait pas bien marcher visuellement, cette partie de la carrière du bagne étant censée être aussi en exploitation ! Et puis, par erreur, un de mes assistants a commencé à « blanchir » une paroi avec la poussière au sol. Et là, la propriétaire a accepté qu’on passe tout en blanc, merci à elle ! Nous avons couvert près de 1200m2 de paroi à la main ! Le rendu n’était pas parfait mais l’étalonnage à fait le reste…

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Quelques mots sur les flash-back où l'on découvre deux batisses en pierre sèche et au toit arrondi ? C’est une bergerie d’altitude, construite en lauze provençale, sans charpente car autoporteuse. Le site, classé et privé, est exceptionnel. Comme il était cité dans tous les grands guides, les propriétaires, lassé du nombre de touristes, en avaient complètement interdit l’accès. Nos repéreurs ont un vrai talent relationnel, ils arrivent à gagner la confiance des gens au départ très réticents et à dénicher des décors incroyables. Et là, Antonio a réussi à contacter le médecin de famille des propriétaires qui par chance est un fou de cinéma. Nous n'avons eu qu’à ajouter quelques meubles.

Après avoir fui de la maison Myriel, Jean Valjean se perd dans un étrange paysage. C’est le massif des Mourres, avec des concrétions géologiques comme seule la nature sait les inventer, de grands champignons de pierre qui surgissent et créent un effet de labyrinthe. Ce lieu était dans la région, nos repéreurs nous l’ont présenté, sans trop savoir quoi en faire. Dans ces cas-là, quand un décor nous touche fortement, on cherche un moyen de le placer et Eric se remet à ré-écrire en fonction du lieu.

La réflexion sur le décor, plus précisément pendant la phase des repérages, peut vous amèner à modifier le scénario. Complètement. Le scénario est finalisé à la suite des repérages qui durent plusieurs semaines. Eric découpe longtemps à l’avance, décide des axes caméra après avoir vu plusieurs fois les décors, d’abord seul, ensuite avec le chef opérateur. Ensuite on implique la régie puis la production à qui on présente le décor. On répète cette méthode à chaque film. A partir de là, je fais des plans, des maquettes et bien sur des devis.

Une courte séquence montre les intérieurs d’un château dont l’opulence contraste avec le dénuement des autres décors.  Il fallait évoquer la première vie de l’évêque. Ce château, le Palais de Sauvan, que l’on peut visiter, appartient à une grande famille provençale. A l’intérieur, des portraits et des armures racontent toute l’histoire généalogique. Il a fallu un peu épurer. La journée de tournage étant coûteuse, on est venu à trois une matinée, avec juste un appareil photo. La séquence est un montage de quelques photographies, sans aucun personnage. C’était astucieux, juste quelques plans fixes et une voix-off pour expliquer la magnificence passée de l'évêque, sans quoi on ne comprenait pas ce à quoi il avait renoncé.

Comment constituez-vous votre équipe ? J’essaie de garder une certaine fidélité avec mes chefs de postes. Ils ne sont pas toujours libres donc j’alterne avec 2 ou 3 autres qui me précieux, compétents, sympathiques. Sur Jean Valjean, l’ensemblière était Cécilia Blome. Le chef peintre était Christophe Hervé et le chef constructeur Laurent Hottois, un compagnon de route efficace et jovial. Eric n’aime pas tourner à Paris, en région il est plus facile de s'immerger dans un film. Il faut alors partir avec des équipes qui s'entendent bien, faire « des bons mariages ».

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Documents de travail, dans l'ordre et de gauche à droite : La chapelle transformée en hospice, la même devenue la demeure de l'évêque, plan couloir et chambre Baptistine, la chambre de l'évêque, le RDC et la cour, le bagne à la Carrière Sarragan. Image de couverture © Radar Films -Mediawan-France 3 cinéma

RÉPONSES DU CINÉQUIZ DU 6 NOVEMBRE Rocketman (Dexter Fletcher, 2019), Passengers (Morten Tyldum, 2016), Orange mécanique (Stanley Kubrick, 1971), Succession (série, 2018-2023), House of Gucci (Ridley Scott, 2021), Blade Runner (Ridley Scott, 1982)

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