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LE ROI SOLEIL par MARION BURGER

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  • 27 août 2025
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Présenté au dernier Festival de Cannes, le film de Vincent Maël Cardona sort aujourd'hui en salles. Le Roi Soleil est l’histoire d’un homme qui est tué au bar-PMU à Versailles, laissant sur le comptoir un ticket de loto gagnant. Les personnes présentes aimeraient bien récupérer le jackpot, et chacune d’elles imagine leur version des faits. Marion Burger (ADC) nous raconte les décors du film.

Quelle est votre formation et comment êtes-vous arrivée au cinéma ?

Je n’ai découvert le milieu du cinéma qu’à la fin de mes études, sans rien connaître du métier de « chef déco ». J’ai étudié les arts appliqués à l’école Duperré, en design textile, puis j’ai poursuivi vers une approche plus large et liée à l’espace à la Danemark Design School, à Copenhague. Le cinéma m’a intéressé car il englobe tous les domaines artistiques et permet de créer des univers sans cesse renouvelés. J’ai aussi toujours aimé le travail d’équipe, et créer des liens avec d’autres corps de métiers.

J’ai démarré en donnant des coups de main sur de nombreux courts-métrages puis j’ai été assistante, principalement en meublage. Très vite, les équipes et les producteurs de ces films courts sont passés au long-métrage et ont fait appel à moi. Divines de Houda Benyamina (Caméra d’Or Cannes 2016) a été mon 1er long. Elle voulait une équipe jeune et m’a fait confiance, un coup de poker. Le projet a été plus complexe que prévu. Ce fut mon baptême du feu et ça s’est enchaîné avec d’autres premiers films. Ça a été ma formation, on apprend à chaque fois et on se sent de plus en plus légitime.

Après Les Magnétiques, son premier long-métrage, Vincent Maël Cardona fait de nouveau appel à vous pour Le Roi Soleil. Comment vous a-t-il présenté le projet ?

Avant de me parler du film, Vincent a voulu que je lise le scénario pour me faire ma propre opinion. Je préfère aussi qu’on ne m’en dise pas trop au début. Ensuite on a surtout parlé des personnages, du concept et du ton du film. Vincent est très littéraire, il veille à ce que chaque choix dégage du sens. Le Roi Soleil est un film très singulier, au concept fort et il fallait réussir à s’approprier cet objet complexe.

On a très vite évoqué l’espace en lui-même, son plan au sol, car à la lecture, les enchaînements de pièces, couloirs et recoins semblaient former une série de boîtes imbriquées. L’action se déroulant en huis-clos, le plateau était un terrain de jeu à géométrie variable et filmé dans tous les axes. Un bar étroit, bas de plafond, qui se referme sur les personnages. Vincent avait envie de suivre ses comédiens dans des mouvements de caméra horizontaux :  de la salle vers l’arrière-cour, mais aussi verticalement, avec l’exploration des différents sous-sols.

Après les échanges avec le réalisateur, comment procédez-vous?

En règle générale, je démarre toujours par une grande recherche de visuels de références. On pioche dedans, Vincent me dit ce qui l’inspire. J’ai ensuite besoin de poser le ton et l’espace sensoriel du film, une ambiance chromatique, une grammaire générale. Quelle sensation ? Quelle échelle ? Brillant, mat, contrasté ? Quels matériaux ? Quelles couleurs ? Quelle lumière ? Je compose des moodboards qui me permettent de parler rapidement avec image et costumes pour préciser et affiner ensemble nos intentions communes. Puis je dessine les espaces à la main ou en 3D. Dans le cas du Roi Soleil, nous avons fabriqué une maquette du décor principal construit en studio. Un élément indispensable en prépa pour travailler sur les placements comédiens et caméra avec Vincent et Brice Pancot, chef opérateur.

On a tous en tête des images de bar PMU. Comment caractériser celui du film, « Le Roi Soleil » ?

J’ai visité beaucoup de bars PMU. Celui qui m’a le plus inspiré se trouve à Paris dans le 12ème, avec ses multiples couches de rénovations successives. J’aimais son côté désuet, avec des ajouts contemporains, des néons. Je me suis raconté que notre bar datait du début XXe, avait été vendu puis racheté et rénové avec un côté bricolé, révélant des strates visibles de différentes époques. Je voulais une ambiance poisseuse, nicotinée, avec du vieux papier à relief et des éléments Années soixante. L’action du film se déroule sur une journée et en lumière artificielle, Vincent avait en tête des références lumière du cinéma asiatique, qui allaient bien avec l’idée d’un gérant de bar issu de l’immigration chinoise. Il voulait par ailleurs une ambiance très sombre. Avec Brice Pancot, nous avons longuement réfléchi à comment faire évoluer l’espace par les lumières de jeu, en suivant une logique narrative légèrement surréaliste.

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Le bar devait malgré tout rester ancré dans le réel. Avec Arnaud Lucas et Anne-Sophie Delaunay au dessin, nous avons réalisé à quel point l’aménagement d’un café obéissait à une logique très rationalisée, très codée. Chaque matériau a un sens, et chaque chose à un usage et une place très précis. La circulation des clients, la position de vente des cigarettes et des jeux d’argent ou encore l’ergonomie de l’arrière-bar. Tout était déterminant pour le décor.

Sophie Chandoutis et son équipe ont réalisé un formidable travail de peintures et patines, qui apporte de la véracité, et des rapports de brillances qui font exister les volumes ou les détails dans la pénombre.

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A-t-il été envisagé de tourner dans un vrai bar PMU ?

Nous savions dès le départ que la durée de tournage (presque 5 semaines) et les envies de mise en scène de Vincent nous orientaient vers de la construction et du studio.

Il fallait en revanche une vraie façade de PMU avec sa rue, auxquels raccorder nos espaces intérieurs. Le café et l’arrière-salle ont donc été créés en studio, avec des parois mobiles. L’espace était assez étroit, filmé sous tous les angles, la caméra devait pouvoir se faufiler partout. La façade du bar a aussi été répliquée, avec une découverte photo de la rue pour les séquences reliant intérieur et extérieur.

Pour les souterrains et les descentes vers les sous-sols, on a tourné dans plusieurs lieux, comme le CNAM - Paris-Arts et Métiers, les escaliers et coulisses d’un cinéma du quartier latin… Certains passages étroits, notamment le conduit dans lequel rampe l’un des personnages, ont été fabriqués.

Plus le film avance, plus on découvre des espaces inattendus à l’arrière du café, comme cette salle où le personnage joué par Maria de Médeiros chante, comme sur une scène de cabaret.

C’est une succession d’espaces étranges qui se révèlent, accompagnant l’imaginaire que développent les personnages, puisqu’ils tentent de développer une fiction commune pour toucher le gros lot. Ils sont dans une impasse, une boîte fermée dont ils ne peuvent s’échapper. Il fallait amener le film vers des tréfonds, se perdre dans ces lieux surréalistes.

L’arrière-salle est un espace abandonné, comme parfois les vieilles salles au fond des café-resto qui ne sont plus utilisées, un espace tampon avec la sortie à l’arrière. Il fallait créer un endroit mystérieux, indéfini, comme un espace mental à la David Lynch, que l’on découvre d’abord dans le noir. J’avais besoin de me raconter une histoire, d’imaginer les vies antérieures des lieux, avec des traces du temps passé, accumulées et toujours visibles. J’ai imaginé qu’un ancien propriétaire avait essayé d’en faire une scène café-théâtre et que Nico (joué par un véritable gérant de bar PMU et d’origine asiatique), avait essayé de la transformer en une salle de karaoké, sans succès. Vincent a adhéré à mes récits imaginaires qui correspondaient à la logique de son écriture.

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ATTENTION SPOIL ! Dans cette arrière-salle, la caméra révèle l’envers des feuilles de décor, et donc son artificialité. Etait-ce une demande de la mise en scène ? Filmer l’envers du décor n’était pas écrit dans le scénario, c’est venu progressivement. Nous voulions appuyer l’idée de mise en scène, de fiction dans la fiction, un effet « meta » de mise en abîme. Dans une séquence tournée mais non montée, on traversait même une salle de cinéma et sa cabine de projection ! C’est comme si le plateau de tournage devenait plateau de jeu. On est un peu au théâtre : l’arrière-salle avec cet espace scénique, où Picon-Lafayette chante sa chanson, représente les coulisses de la vraie scène qui est le bar où se déroule l’action. Et l’arrière-cour est comme une entrée des artistes. Avec Brice Pancot, nous avons beaucoup travaillé sur cet espace et la façon de le révéler par la lumière. On a choisi des globos aux formes géométriques de manière à déconstruire l’espace. Le résultat est très graphique, comme dans un kaléidoscope. Cela renvoie au labyrinthe narratif du film.

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Revenons sur les séquences au château de Versailles, qui apparaissent au début du film.

Ce prologue se situe dans deux époques, d'abord aujourd'hui avec un trader qui fête son anniversaire à Versailles, et en 1750, quand il fût décidé de créer la Loterie Nationale. L’ironie est que la Loterie, censée enrichir les pauvres, est née à Versailles, imaginée par les riches pour renflouer les caisses de l’Etat. Tout le film est une réflexion sur notre rapport à l’argent.

Nous avons tourné une seule nuit sur place, pour la déambulation dans le château, la Galerie des glaces et les extérieurs. La séquence dans la chambre du Roi a été tournée à Vaux-le-Vicomte, on y trouve une chambre qui correspond aux codes de l’époque, sous Louis XV, nous y avons juste ajouté un peu de mobilier et d’accessoires. Bien sûr, on ne peut rien modifier dans ces lieux patrimoniaux. La gestion des lumières de jeu d’époque était donc un challenge.

 Y-a-t-il un décor, ou un élément de décor, que vous avez entièrement imaginé et dont vous êtes particulièrement satisfaite ?

On est toujours contents d’amener des petits détails supplémentaires qui enrichissent le décor, aident le jeu des comédiens ou permettent de créer des plans intéressants, par exemple un miroir pivotant pour des jeux de réflexions dans le cadre, et créer des perspectives supplémentaires.

Si je devais choisir un ou deux éléments que j’affectionne particulièrement, ce seraient les plafonds. Très tôt nous avions parlé de plans en contre-plongées, faisant des plafonds un sujet intéressant à traiter. Ainsi le plafond bas du bar amène un sentiment d’enfermement, alors que celui du couloir, au fond du bar, est comme un cordon ombilical, une transition entre un espace réel, la salle, vers un espace irréel, l’arrière-salle. Il crée une profondeur, un trait d’union visuel. J’y ai imaginé un plafond en lattes d’aluminium avec effet miroir, très années 1970, posé en diagonale. L’effet est très graphique, toujours dans une idée de découper, déconstruire et renverser l’espace. Cela vient renforcer la sensation de perte de repères… Un élément pivot très symbolique qui fait glisser le réel vers le surréalisme, il synthétise bien selon moi la tonalité du film.

Interview réalisée le 14 aout 2025

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