Éloquent ! cet article paru dans LE MONDE du 26/10/09.
Officiellement, le cinéma en France se porte bien, très bien même : les entrées ont augmenté de 3 % lors des huit premiers mois de 2009, alors que l’année 2008 était déjà excellente (190 millions de tickets vendus). Mais ces résultats cachent une réalité : seuls les gros cinémas, implantés dans les grandes villes et leur périphérie, qui tournent à 450 000 entrées ou plus par an, voient leur public augmenter. En revanche, les salles qui font moins de 80 000 entrées, ou qui se situent entre 80 000 et 450 000 entrées, accusent un net recul, respectivement de 10,5 % et de 4,3 %.
Les faits : "Le Petit Nicolas" dépasse les 2 millions de spectateurs
Décryptage La rentrée commerciale du "Petit Nicolas"
Les faits Les films exploités plus vite sur tous les supports
Un cinéma à deux vitesses est en train de s’installer : c’est l’affluence dans les grandes villes (+ 7 % à Paris) et la déprime en zones rurales (- 12 %). Les raisons ne sont pas à chercher du côté du seul cinéma. Le fossé entre centres urbains et campagnes se creuse pour toute la culture. C’est vrai pour les théâtres, musées ou salles de concert, selon une enquête sur les pratiques culturelles des Français, parue le 14 octobre (Le Monde du 15 octobre). Les plus grandes villes sont de loin les mieux équipées en lieux culturels. Et la population qui y habite - étudiants, classes moyennes et supérieures - est le principal consommateur de culture.
Des facteurs propres au cinéma amplifient cette tendance. Il y a d’abord les multiplexes, grands gagnants puisqu’ils attirent toujours plus de public : leur offre est large, les salles sont confortables, et ils ont su, du moins pour certains, rehausser leur image auprès des cinéphiles en affichant plus de films en version originale.
Les exploitants de salles modestes, eux, ont un problème numéro un : ils auraient de plus en plus de mal à obtenir les films qui font de grosses entrées dès le jour de leur sortie en France, devant attendre souvent trois ou quatre semaines.
"Comme le nombre de copies par film baisse, les distributeurs privilégient les cinémas de grandes villes ou autour. Le public est donc tenté de nous quitter pour aller voir ailleurs, constate Marie-Christine Desandré, qui représente les salles moyennes au sein de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF). Or ce sont les films porteurs qui nous permettent de rentrer de l’argent et de programmer des oeuvres plus fragiles. Si cet équilibre est rompu, la diversité est menacée."
Directeur du Forum, le seul cinéma de Sarreguemines (Moselle) avec ses huit salles, Jean-Marc Carpels a fait ce calcul : "Pour que j’aie une chance d’obtenir un film en sortie nationale, il faut qu’il y ait 200 ou 300 copies du film. Avec ses 130 copies, Le Ruban blanc, de Michael Haneke, Palme d’or à Cannes, nous est passé sous le nez."
Autre obstacle, depuis juillet, les films sont disponibles en DVD ou en vidéo à la demande (VOD) quatre mois après leur sortie en salles, contre six mois auparavant : la fenêtre d’exclusivité de la salle se rétrécit.
"L’environnement change mais on paie les films toujours aussi cher", proteste Jean-Marc Carpels. Les patrons de salles reversent une partie de leurs recettes aux distributeurs, au maximum 50 %. Or petites et moyennes salles supportent un taux de location des films plus élevé que les grandes - une tendance confirmée par une étude du Centre national de la cinématographie (CNC). "Si on refuse, le film nous échappe", dit un exploitant, qui cite cet exemple : "En septembre, j’ai reversé 50 % de la recette pendant les trois premières semaines d’exploitation de La Proposition, d’Anne Fletcher, et de District 9, de Neil Blomkamp, alors que ces films avaient du mal à trouver leur public."
La FNCF, qui regroupe la quasi-totalité des salles de cinéma (il existe plus de 5 400 écrans en France), réclame une baisse de 5 % du taux de location. "Ce serait la mesure la plus immédiate et la plus efficace", plaide Marc-Olivier Sebbag, délégué général de la FNCF. Mais le CNC a dit non : "Les distributeurs pourraient durcir leur position et rendre l’accès à la copie encore plus difficile", justifie Olivier Wotling, directeur du cinéma au CNC. D’autres pistes sont à l’étude, comme l’allégement de la taxe professionnelle.
C’est dans ce contexte morose que les petites et moyennes salles doivent s’équiper en numérique. La fameuse pellicule va être remplacée par une disquette. C’est plus léger, moins cher, mais il en coûte 74 000 euros par écran, et plus encore pour offrir le 3D. Environ 13 % des écrans sont équipés, pour la plupart ceux des circuits, comme CGR (400 écrans). MK2 a signé un accord pour la numérisation de ses cinquante huit salles parisiennes. Pour aider les cinémas plus modestes à franchir ce cap, le CNC va proposer un fonds de mutualisation qui devrait absorber au moins 75 % du coût.
Le cri d’alerte des petits exploitants est pris au sérieux. A partir du mois de novembre, le CNC va organiser des réunions thématiques avec la profession pour proposer des réponses. Avant qu’il ne soit trop tard.
Clarisse Fabre "Le Monde" 26/10/09