"Cher Vincent Maraval Je pense que votre article dans le Monde suscitera des réactions qui vont faire gonfler votre boite mail et la rumeur parisienne. En tous cas je le souhaite. En cette période de crise quand on parle d’argent et quelque soit le secteur, les passions sont vives. En ce qui me concerne -et à part le titre de votre article que je trouve mensonger parce que partiel- : "Les acteurs français sont trop payés" je le trouve évidemment pertinent et vous avez le courage de jeter enfin le pavé des salaires exhorbitants dans la mare de notre cinéma national. J’y souscris. Mais vous auriez du aller plus loin.
Et en premier lieu, plutôt que de parler des acteurs, vous auriez du écrire en guise de chapeau : "Les vedettes françaises sont trop payées". C’est vrai. Les 50 vedettes ? Les 30 vedettes ? Les 10 vedettes ? Leur nombre n’est pas le plus important au regard du fait qu’ils sont incontournables. C’est ça qui pose problème, qu’on ne puisse (ou très difficilement) monter un film sans qu’il y ait au moins un "bancable" dans la liste. Combien sont-ils ces bancables ? Entre 3 et 5 par génération. Car les autres, tous les autres, les acteurs pas vedettes, les petits, les moyens, les sans grade à l’échelle du box-office, les 20.000 autres, intermittents, qu’ils soient inconnus ou même un peu connus voire reconnus du grand public (comme votre serviteur par exemple), savons que nos cachets ont été divisés pas 2 depuis les années 2000. Et je ne parle pas de l’écrasante majorité des acteurs qui composent les listes artistiques des films et qui sont payés moins de 1000€/jour.
A la télévision où les salaires des rôles principaux ont servi de variable d’ajustement aux productions qui diminuaient leur coût au fur et à mesure que les diffuseurs diminuaient leurs financement. Ne pouvant baisser la grille des salaires des équipes techniques protégés par une convention collective forte et respectée, on a non seulement divisé le montant mais également diminué le nombre des cachets en augmentant le temps de travail de leurs journées. On tourne soi-disant un 52’ en 10 ou 11 jours, mais en comptant les heures sup on tourne entre 12 et 14 jours avec les acteurs en tête de casting considérés comme "bien payés" qui tournent 10 voire 12 heures par jour en abattant 5 à 7’ utiles par jour. N’ayant pas le choix, les producteurs préfèrent payer les heures sup des équipes techniques, raboter sur le nombre de cachets des acteurs et comprimer leurs journées…
Quand au cinéma pour faire en sorte que des films indépendants (1, 2, 3 M€) puissent se faire, on nous explique que nos salaires doivent être mis pour partie en "participation", c’est à dire payé si le film est amorti… On sait tous ce que cela veut dire.
Et pour finir la boucle, que dire des techniciens qui -parce qu’heureusement encore payés au tarif syndical à la télé- peuvent s’offrir de faire du cinéma à moins 10, 20, 30 ou 50%. Pour faire en sorte que le film se fasse toute la chaine fait des efforts pendant que les "stars" prennent leurs cachets. Que penser d’un film où les équipes sont à moins 10% ou 20% avec en vedette un bancable dont on sait qu’il va toucher entre 500K€ et 1M€ … ?
La faute au système bien sûr, qui comme vous le dénoncez, réclame des "noms" pour monter le financement en sachant pertinemment que ce n’est évidemment pas une garantie du succès du film en salle. Mais qu’il est dans le cahiers des charges des diffuseurs de justifier une promesse -devenue chimérique- d’audimat quand le film passera à la télé.
Pour finir, je pense que si votre analyse est pertinente, le titre de cet article est si maladroit qu’il va une fois de plus conforter l’idée fausse que les acteurs sont des nantis et mettre en péril le statut si fragile mais si indispensable des intermittents perçus comme des enfants gâtés. Ne cassons pas ce système extraordinaire qu’est l’intermittence, la redistribution du CNC et l’obligation des diffuseurs de financer le cinéma.
Comme partout dans la société et dans ce monde financiarisé à tout crin, rien ne va plus quand "le patron-vedette" gagne 1M€ tandis que "l’acteur-ouvrier" qui vient lui donner la réplique gagne le smic.
PS : à la décharge de V. Maraval, le titre du papier extrêmement polémique a été écrit par la rédaction du Monde.