Association des décoratrices et décorateurs de cinéma

Dean Tavoularis, production designer

l’interview du moment | 11/12/2016

En juin dernier, à l’occasion de la fête célébrant nos 10 ans, DEAN TAVOULARIS devenait Membre d’Honneur de l’ADC. Production designer oscarisé, vivant aujourd’hui entre Los Angeles et Paris, il a accompagné quelques uns des plus importants réalisateurs du cinéma contemporain, américains bien sur, mais aussi européens. Cher Dean, merci de vous être plié à notre rite de l’interview, la voici en VF et VO.

Vous pensiez faire de la peinture ou de l’architecture. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis et vous tourner vers le décor de cinéma ?
En fait, je n’ai pas débuté comme peintre ou architecte. J’ai étudié les Beaux-Arts et l’architecture dans différentes écoles. Pendant mes études, j’ai postulé à un job aux Studios Walt Disney et ai été embauché dans leur département animation.
Je ne connaissais rien à la direction artistique d’un film. Et donc n’avais pas l’ambition de devenir « production designer ». Un an plus tard, je suis passé dans le département « live action » et ai commencé à travailler sur des films. Non plus des dessins animés mais des tournages en prises de vue réelles.

Dans votre jeunesse, quels films aimiez-vous en tant que spectateur ? Etiez-vous alors attentif aux décors ?
Je dois dire que, très jeune, j’avais un goût sophistiqué dans mes choix de films. J’allais dans des salles d’Art et Essai voir les films expérimentaux en 16mm de Stanley Kubrick. J’adorais tous les films étrangers, français, japonais, italiens, anglais et aujourd’hui encore je les trouve remarquables.
Dans le même temps, je ne connaissais rien au décor de cinéma ni comment les décors de ces films étaient conçus. Je n’y pensais absolument pas.

Vous démarrez chez Disney puis collaborez avec des réalisateurs comme Richard Lester, Arthur Penn et Michelangelo Antonioni. Aviez-vous souhaité vous tourner vers un cinéma plus moderne ?
Je suis passé d’une école d’art aux Studios Disney. Leurs films, les dessins animés sur lesquels j’étais animateur, puis les films « live » où j’étais dessinateur, étaient des productions « familiales ».
Je ne travaillais pas pour le genre de films que j’aimais parce que ceux-ci n’étaient pas tournés à Hollywood. On y produisait alors Confidences sur l’oreiller et des comédies légères. Il était impossible d’aller vers des films plus « modernes ».
Puis, c’est arrivé : par des circonstances trop longues à raconter, j’ai été engagé pour faire Bonnie and Clyde. A la sortie du film, je me suis trouvé tout d’un coup très demandé. Ensuite, miracle des miracles, Antonioni m’appelé, puis Coppola : j’étais devenu « avant-garde » !!

Nous aimons beaucoup Conversation secrète de F. F Coppola, dont le personnage principal est un solitaire, spécialiste de l’espionnage. Comment avez-vous imaginé son univers et comment avez-vous anticipé le saccage de son appartement à la fin du film ?
Après Le Parrain, Francis m’a parlé de Conversation secrète. C’était un réel soulagement après la pression sur le film précédent. L’histoire se passait à San Francisco, une de mes villes préférées au monde.
Le script était magnifique. Une de nos premières intentions visuelles était de travailler la transparence, comment voir à travers les choses. Nous avons souvent utilisé des bâches plastiques, et rappelez-vous, avons habillé Gene Hackman d’un imperméable en plastique.



Conversation secrète Francis F. Coppola, 1974

Quant à la destruction de l’appartement, c’était dans le scénario depuis le début et je savais qu’il me faudrait la prendre en compte. Mais la vraie difficulté était que l’immeuble de l’autre côté de la rue, en face de l’appartement de Gene Hackman, devait être en démolition, littéralement détruit. C’était donc un véritable challenge de trouver deux appartements face à face, l’un devant être détruit et l’autre dont l’intérieur pouvait être complètement transformé.

Coup de cœur étonne à chaque fois par le parti-pris extrême de stylisation de l’image. Etait-ce une décision de Coppola seul ? Quelle a été votre inspiration pour ce film ?
Quand j’ai commencé à travailler sur Coup de cœur, l’histoire était située à Chicago et le film n’avait pas la forme d’une comédie musicale, c’était une « love story ». Francis Coppola a rapidement senti que le film serait plus intéressant dans une ville comme Las Vegas. Il a alors pensé à en faire un « musical ».
C’est à ce moment que s’est posé la question du tournage des numéros dansés dans les rues de Las Vegas. Nous avons donc décidé de construire les rues en studio. Ce qui a mené au film tel que vous le voyez. C’est une trop longue histoire pour être racontée ici...


Coup de cœur Francis Ford Coppola, 1981

Parfois, pour des décors s’ouvrant sur un paysage urbain (A nous quatre, La 9ème porte), vous préférez construire les découvertes plutôt que recourir aux techniques d’incrustation. Est-ce par goût ? Pour des raisons techniques ?
Je pense que c’était mon propre choix.

En 2013, lors d’une carte blanche à l’ADC pour une soirée autour d’un film et de son décor, nous avions choisi de projeter Carnage, en présence du 1er assistant décorateur du film, Michel de Courty. Quelques mots sur le décor, un appartement à Brooklyn ?
Quand Roman Polanski m’a contacté pour Carnage, j’étais très heureux à l’idée de travailler avec lui et sur ce projet de film en huis clos. Sans jamais nous rendre à Brooklyn, il nous fallait décider des découvertes à travers les fenêtres.
Nous avons imaginé une technique de repérages très intéressante, par ordinateur. J’étais en contact avec un repéreur qui se trouvait sur place et lui indiquais vers quel étage se diriger, plus haut ou plus bas, trouver des vues intéressantes comme une plongée au-dessus des voitures du métro aérien, ou Manhattan à travers l’East River, mais pas comme une carte postale. Tout ça par la magie de Skype et de la science informatique !


Carnage Roman Polanski, 2011

Je connais Roman, et pour lui comme pour moi, je souhaitais ce décor d’appartement le plus réaliste possible. J’avais fait venir de New-York toutes les prises électriques et les interrupteurs, les serrures, les paumelles et les poignées de portes, la nourriture sur les étagères et dans le réfrigérateur, tous ces objets et bien d’autres.
J’avais embauché deux anciens assistants décorateurs, tous deux vivaient à Brooklyn. Pour faire fonctionner les prises et les interrupteurs américains, j’ai fait brancher toute l’électricité du décor en 110 Volts.
Tout ceci a donné de l’intérêt à ce décor unique – ils ne sont jamais simples – et pour l’équipe, un travail que nous avons beaucoup apprécié.

Entre Hollywood et l’Europe où vous avez également travaillé (France, Italie), avez-vous constaté des réelles différences sur la façon de considérer - ou de pratiquer - le décor ?
Le premier pays étranger où j’ai travaillé était l’Italie. Je dois dire que j’étais assez inquiet. J’étais seul, la production ne comptait pas un seul américain. J’ai du former mon équipe tout seul.
A mon soulagement, j’ai découvert que les postes et la hiérarchie d’une équipe décor était la même qu’à Hollywood. Et, plus important encore, que tous travaillaient avec les plus grands sérieux et professionnalisme. Ils n’avaient rien à apprendre. Travailler à Cinecittà a été pour moi un privilège.
Avec le même sentiment, j’ai été honoré de travailler à Pinewood en Angleterre, à Churubusco à Mexico ou dans les studios parisiens.

Parmi tous les décors de vos films, en incluant ceux ou vous étiez assistant, y en-a-t-il un (ou plusieurs) que vous préférez ?
Avant de devenir Production Designer (chef décorateur), j’ai travaillé comme Art Director (1er assistant décorateur) sur quelques films de bonne tenue. Il y a eu Daisy Clover, La nef des fous et bien d’autres.
Paradoxalement, celui que je pourrai appeler mon film préféré est un film qui n’a jamais vu le jour. Je le repasse souvent ma tête. En réalité, je n’ai eu que de merveilleuses conversations avec le réalisateur, j’ai lu ses notes d’intention et le roman d’origine, j’ai été à Helsinki en repérages.
Ce film magnifique, pour moi inoubliable, qui n’a jamais été tourné est La chute de la maison Usher d’après Edgar Allen Poe. Le réalisateur en était Michael Powell, un ami très cher.
Dean Tavoularis 2016


La 9ème porte, Roman Polanski, 1999

You first thought of becoming a painter or an architect and then turned into cinema. What did convince you to pursue your career in film design ?
I did not start as a painter and architect. I studied fine art and architecture at different schools. While studying at an art school I applied for a job at Walt Disney Studios and was accepted to work in animation.
I knew nothing about « production design ». And therefore had no inspiration to work as a film designer. After a year in animation, I moved to the « live action » department and began to work on films. Live action films as opposed to cartoon films.

While in school or later as a student, what kind of movies did you enjoy seeing ? Were you aware of film design ?
I must say I had a very sophisticated taste in films at a very early age. I frequented art movie houses to see films like Stanley Kubricks 16mm sort of experimental works. I loved all foreign films, French, Japanese, Italian, British, I really loved those films and when I think of them today, they still are very special.
At the same time, I did not know anything about art direction or that these films were « designed ». I just didn’t think about it.

You started working for Disney and then collaborated with directors like Richard Lester, Arthur Penn, Michelangelo Antonioni. Did you intend to move towards more modern moviemaking ?
From art school I went to work at Disney. And the films I worked on, cartoons as an animation artist and then live action as a set designer, were « family » films.I was not working on the films that I loved because they were just not being made in Hollywood. They were making Pillow Talk and light comedies. There could not be any « intention » of moving toward « modern » films.
But something happened. To cut a long story short, I was contracted to do Bonnie and Clyde. When that film came out, I was suddenly « in demand ». Then, miracles of miracles, Antonioni called me and after that F. Coppola. I was called "avant garde".

In The Conversation, a film we admire very much, the main character is a lonely surveillance expert. How did you find the design of his apartment and how did you anticipate its destruction in the final scene ?
After The Godfather, Francis talked to me about The Conversation. It was such a relief after all the tension I had on the previous film. We were in San Francisco, one of my favorite cities in the world. The script was magnificent. One of the first visual ideas that we had was about transparency, seeing through things. We used a lot of plastic sheets and, if you remember, we put Gene Hackman in a plastic raincoat.


The Conversation Francis F. Coppola, 1974

As for the destruction of the apartment, it was always in the script and I knew I had to "deal" with it. The real complication about that was that the apartment across the street from the Gene Hackman apartment had to be seen torn down, literally torn down and destroyed. So it was a real challenge to find two apartments facing each other, one that could be totally destroyed and the other one totally revamped inside.

One From the Heart is truly amazing, with the extreme stylisation of its design and lighting. Was this idea Coppola’s own choice ? What was your inspiration for this film ?
When I first started working on One From The Heart, it was set in Chicago and it was to be a straight forward kind of film, a love story. Francis Coppola quickly felt that the film would be more interesting if it was in a city like Las Vegas. He also then conceived the idea of making it a musical.
At that point, the problem of shooting dance numbers in the streets of Las Vegas came up. So we said we would build the streets on the stage. This triggered the evolution that led to the film you see. This story is long and I can’t really write it all here.


One From the Heart Francis F. Coppola, 1981

In some of your films (The Parent Trap, The Ninth Gate), a set opens up on a large city landscape. You build it with miniatures, instead of using optical effects or matte-paintings. Is this for technical reasons or is it your own choice ?
I believe the answer should be that it was my choice.

In 2013, the ADC had a « carte blanche » for a screening-debate focused on a film and its design. We presented Carnage, in the presence of its art director Michel de Courty. A few words about the set, an apartment in Brooklyn ?
When Roman Polanski approached me about Carnage, I was very interested in working with Roman and doing this basically one set movie. Although we never travelled to Brooklyn we needed to determine what was to be seen out of the windows.
We created a very interesting scouting system with our computers. A location scout in Brooklyn would communicate with me and I would tell him what floor he should go to higher or lower. Shoot something interesting like above ground subway cars or Manhattan accross the East River, but not like a postcard. Thru the miracle of the computer, Skype and other tech-knowledge !


Carnage Roman Polanski, 2011

I know Roman, and for him and for me I wanted the apartment to feel as real as possible. I had all the electrical plugs and switches, all the hardware, locks and hinges, door knobs, food for the shelves and refrigerator, all these items and many others sent from New York.
I had two former art department assistants, both lived in Brooklyn. To make the american electrical plugs and switches practical, I had the whole set activated with 110 power, all the plugs and switches worked. It made working on this single set movie (never an easy job) quite interesting and we all enjoyed our work very much.

Working in Hollywood as well as in Paris or Rome, what differences did you notice between American and European cinema, in the way film design is considered and practised ?
The first foreign country I have worked in was Italy. I was to say a bit apprehensive. I was alone, there were no American production people. I had to put together an art department by myself. But to my relief, I discovered that the job categories and the hierarchy of the art dept was the same as in Hollywood.
And, more importantly, everyone did their work with the upmost seriousness and professionalism. No one needed to be taught. I felt honored to work in Cinecittà studios. In Pinewood, Churubusco in Mexico City or in Paris studios, it was the same feeling, I was honored.

Among the films you’ve been working on, including those as an Art director, is there one or several sets that you are particularly found of ?
In my opinion, I worked on some worthwhile films as an Art Director, before I was a Production Designer, such as Inside Daisy Clover and Ship of Fools and some others.
Ironically, the film I might call my favorite one was a film that was never made. I’ve run it in my head many times. But in reality, I only had wonderful discussions with the director, read the novel and the directors notes, and scouted Helsinki. This beautiful, memorable film that was never made was The Fall of the House of Usher, by Edgar Allen Poe and the director was my dear friend, Michael Powell.
D. Tavoularis 2016


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