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Les Ogres, Léa Fehner met en scène le Dawaï Théâtre, une troupe de théâtre itinérant directement inspirée de l’Agit, la compagnie créée par ses propres parents également acteurs du film.
PASCALE CONSIGNY est l’auteur des décors, merci à elle pour cette interview et les photos qui l’accompagnent.
Les Ogres est le second film de Léa Fehner, comment êtes-vous arrivée sur ce projet ?
J’avais déjà travaillé avec le producteur, Philippe Liégeois, et Hadrien Bichet, le premier assistant. Me connaissant un peu, ils ont pensé que je pourrais aimer ce film et que Léa et moi pourrions bien nous entendre.
Etiez-vous familière du milieu décrit dans le film, la vie d’une troupe de théâtre sur les routes ?
Pas vraiment familière mais pas vraiment éloignée non plus. C’est un univers que j’admire énormément. Je voulais faire très attention à ne pas tomber dans les clichés. Dès qu’il y a un chapiteau et des caravanes, on peut croire que c’est un décor facile alors que c’est le contraire.
Sinon, cela fait 20 ans que je travaille sur des tournages, c’est aussi une bonne pratique de l’itinérance !
Quelles ont été vos sources d’inspiration ou vos références ?
Ce sont avant tout les photos de la famille de Léa, puisqu’on raconte une histoire inspirée de la Compagnie de l’Agit.
Mais j’ai aussi puisé dans des images très proches de moi, comme des photos de mes filles et du jardin de l’atelier de mon mari, le peintre Hervé Ingrand, qui ressemble un peu au campement ! Je me suis beaucoup inspirée de son travail d’artiste qui m’a aidée à comprendre celui de François Fehner et Marion Bouvarel et par suite celui de Léa.
Et puis avec Léa, nous avons regardé tout ce qui nous paraissait inspirant de près ou de loin : l’art contemporain, la peinture, la scénographie, les mises en scène de Peter Brook, les films (j’en ai regardé des dizaines pour piquer des trucs chez Fellini par exemple). Des performances des années 70, des spectacles de Pina Bausch, le spectacle Notes on the circus de la compagnie Ivan Mosjoukine que j’avais vu 15 fois !!
Ce travail de recherche a été passionnant. On ne l’imagine pas forcément en voyant le film mais ce grand désordre que nous avons créé de toute pièce trouve sa source dans ce long travail.
Léa Fehner a une formation de scénariste, était-elle très précise dans ses indications en termes de décor et d’accessoires ?
Oui, très précise mais très heureuse aussi des propositions de l’équipe. Léa est toujours très ouverte, très à l’écoute, tout en sachant très bien ce qu’elle veut !
Pour filmer ce "grand désordre", quelle est sa méthode de tournage ? Improvisée ou préparée avec précision ?
Elle a le talent de savoir laisser place à l’improvisation, à la provoquer parfois, mais elle travaille énormément et quand elle arrive sur le plateau, elle maîtrise parfaitement chaque détail de la journée à venir ; aussi bien pour le poste mise en scène que pour celui des costumes, de la lumière, et de la décoration.
Elle travaille avec beaucoup d’attention avec les acteurs. Elle ne lâche jamais prise et n’abandonne jamais par dépit ! Sa passion est immense et nous entraine tous avec elle.
Les décors de cette troupe itinérante ont-ils été aménagés ou entièrement créés pour le film ?
Le chapiteau a une belle histoire. Le père de Léa l’avait fait fabriquer en 1970, il avait été revendu plusieurs fois et le directeur de production l’a retrouvé en Corse. Ca a été très compliqué de pouvoir le louer car il était réservé pour un mariage. On a failli l’abandonner pour un autre.
A ce moment-là, j’ai senti que ce chapiteau avait une âme spéciale pour Léa et qu’aucun autre n’aurait la même grâce. J’ai dit au directeur de production, Luc Martinage : c’est notre chapiteau, quoi qu’il arrive, c’est celui-là ou rien.
On a eu alors l’idée de trouver un autre chapiteau pour le mariage, avec le même code couleur, car les mariés avaient déjà prévu toute leur déco et les cartons assortis aux couleurs bleue et jaune.
A part ce chapiteau, tout a été recréé. On l’a même agrandi en créant une sorte de coulisse, une belle bâche aux motifs bleus et rouge étoilés, alors que l’intérieur de chapiteau est en bâche noire.
Par contre, nous étions implantés sur le lieu le plus venteux du monde, là où viennent du monde entier les champions de Kitesurf !!! Le chapiteau a failli s’envoler plusieurs fois, il m’est arrivé de me lever la nuit pour venir voir s’il tenait bon.
Un chapiteau c’est comme un grand voilier, ça a une âme et ça vous embarque ! Celui-là était devenu mon ami.
Toutes les caravanes ont été repeintes. Trouver les bonnes couleurs a été un casse-tête inimaginable. On ne voulait pas se tromper, on regardait aussi des films en se disant "on ne veut pas ressembler à ça". Léa, qui ne lâche rien, est capable d’attendre la toute toute dernière seconde pour se décider !
Définir les couleurs impliquait de connaître leur position dans le campement pour créer une harmonie. On a du bouger les caravanes 200 fois avant de trouver leur place et de les peindre, la veille du tournage !
Avez-vous amené certains éléments ou une touche personnelle qu’elle n’avait pas prévu au départ ? La caravane "caisse" a été inspirée d’une photo que j’avais prise des années avant, d’une petite fille derrière sa caisse à la foire du Trône. Il n’y en avait pas dans la compagnie mais ils l’ont adoptée et s’en servent maintenant. En préparation ou sur le tournage, un moment particulièrement heureux ? En arrivant pour la première fois sur le terrain où nous montions le décor, je vois, à 200 m sur le chemin, l’arbre somptueux que vous avez vu dans le film. J’ai toujours cru à un ange gardien du cinéma et que ce qui doit être dans le film arrivera de toute façon, et qu’à l’inverse ce qui ne doit pas y être n’y sera pas. Autre coïncidence, ma photo de profil depuis que j’ai ouvert mon compte facebook il y a plusieurs années est une photo de chapiteau de 1973 bleu et jaune ! Quelle est votre formation ? Pour finir, et rien à voir avec Les Ogres, un film ou une exposition, ou un spectacle qui vous ait marquée récemment ? Photos Pascale Consigny
J’ai toujours cherché à être au plus près de ce que Léa attendait, mais on ne peut pas empêcher sa touche personnelle d’exister. Ce décor me ressemble aussi. J’avais le sentiment d’être en accord avec l’esprit de l’Agit. Léa prépare, défriche, mais ne prévoit rien. Je ne sais pas si elle s’attendait à un décor précis, mais on a tellement travaillé ensemble qu’il n’y avait pas vraiment d’inattendu possible.
Nous avions décidé d’avoir un arbre dans le décor. Une semaine avant de tourner, nous ne l’avions pas encore trouvé et j’avais très peur. Il devait être assez solide pour supporter le numéro d’acrobatie prévu et paraissait impossible à trouver !
Je réfléchissais à comment tricher un arbre en mélangeant des branches vraies et fausses mais nous n’avions plus le temps et un budget minuscule.
J’ai une maîtrise de droit et un diplôme d’école nationale supérieur d’art plastiques. Mais c’est avec Katia Wyszkop que j’ai appris le métier de décoratrice. Et avec Caroline Champetier qui m’a offert mon premier poste de chef décoratrice dans un film d’Anne Fontaine, Nouvelle chance.
L’aventure des détails, l’exposition de Jean-Michel Alberola au Palais de Tokyo : sa phrase « inventer quelque-chose de connu » m’a toujours accompagnée dans mon travail, ainsi que l’ensemble de son oeuvre.
La performance d’Ava Hervier dans le spectacle On a dit on fait un spectacle !