Troisième collaboration d’Alain Veissier, chef décorateur, avec Dany Boon, réalisateur, Supercondriaque est sur les écrans et c’est l’occasion d’une interview avec un des fondateurs de l’ADC.
Le déclic qui vous a amené au décor de cinéma ? Stage qui se prolonge durant 6 mois, un décor immense, une aventure humaine, un rêve éveillé. Après ce genre d’entrée en matière, aucune raison de descendre du train. Pour vous, le passage d’assistant à chef décorateur : une évidence ? une étape difficile ? Ensuite, un retour à l’assistanat avec d’excellents professeurs dont Jean Pierre Kohut-Svelko et Thierry Flamand, me permettant l’accès aux gros projets et à des œuvres de qualité, puis repartir avec un grand plaisir, satisfaire mes personnelles aspirations esthétiques. Comment exprimez-vous vos intentions de décor ? Si un film c’est une histoire, les décors, c’est de la préparation et ce sont les repérages, il ne faut pas les rater et on en jamais assez. La préparation d’un film est pour moi la phase importante, le petit comité que l’on forme avec l’assistant mise en scène, le metteur, le chef opérateur, le cadreur, un moment très intime lorsque la confiance règne. Comment composez-vous votre équipe déco ? Y a-t-il un ou plusieurs postes "clé" ? Mon tiercé par ordre d’importance c’est un assistant pour le budget, les avis échangés, la modération, puis l’ensemblier(ère) pour les cerises sur le gâteau, et la patine ou la peinture, lorsque on aime intervenir vraiment sur un décor. Selon vous, quelle serait la formation idéale pour devenir chef décorateur ? Et se proposer, prendre tout les stages, sans oublier que le film que l’on fabrique est le film d’une personne nommée metteur en scène et que l’on n’est pas là pour faire sa propre exposition - sauf si on vous y autorise. Vos expériences à l’étranger ? Un film, une exposition, un spectacle…qui vous a marqué récemment ? Pour l’actualité, les cérémonies des JO de Sochi pour l’inventivité inclassable de ce genre d’événements ; Le film A touch of sin de Jia Zhangke, l’expo Raw vision à la Halle St Pierre ; la lumière de Marc Ping Bing Lee et les décors de Benoît Barouh pour le film Renoir ; le livre Le chardonneret de Donna Tartt. Sur votre dernier film avec Dany Boon, Supercondriaque, quel moment vous a donné le plus de satisfaction ? ….et le moment le plus stressant ? Avez-vous souvent tourné aux studios de Bry-sur-Marne ? Quelques mots sur leur fermeture annoncée ? J’espère que la pétition que nous soumettons pourra infléchir la donne, à l’instant ou le crédit d’impôt et la convention collective s’appliquent, nous aurons besoin de ce type de studio pour exercer. La question manquante à laquelle vous auriez voulu répondre (et sa réponse, éventuellement…
Le décor, je suis tombé dedans quand j’étais tout petit : bricoler les univers, améliorer ma réalité. Scolarité buissonnière puis études de scénographie de théâtre au sein de l’Ecole de la rue blanche qui vont favoriser ma rencontre avec Guy-Claude François me proposant un stage sur le décor de Molière, le film d’Ariane Mnouchkine.
J’ai très vite travaillé comme chef décorateur sur des séries télé, des pubs, un premier long métrage d’époque réalisé par Robert Enrico. L’insolence de la jeunesse, cela m’a permis de connaitre mes manques, financiers et relationnels majoritairement.
A refaire, je ne change rien, un coup de dé...
Une première lecture, comme si je n’ai rien à y faire, je laisse macérer et puis reprise, méthode et entretiens avec le metteur en scène, quelques références photos et les repérages.
Après, dessins, plans, maquettes, budget...L’inspiration première est avant tout de l’observation, je suis assez contemplatif.
Une sorte de grand orchestre. Tout le monde avec sa partition à jouer, je me pose toujours la question de l’utilité du type en jaquette avec sa badine à la main.
Une mention spéciale à l’accessoiriste de plateau, qui souvent reste le seul représentant de la déco sur le tournage.
Commencer par travailler dans un cirque, animer des ateliers pour enfants, voyager, apprendre des langues étrangères, observer, restituer, apprendre à compter, oublier les diplômes et les distinctions, rester humble.
Les tournages à l’étranger, j’en raffole, c’est une sorte de formation professionnelle continue, avec ses bonnes (et parfois mauvaises) surprises.
Le sentiment, souvent, d’être au-delà du film sur lequel je travaille, transporté dans un autre univers que même l’équipe du film ne croisera jamais, de par notre implication dans les préparatifs d’un tournage, où l’on est le plus au centre de la fabrication.
Mon panthéon cinématographique :
La Strada de Fellini, Blade runner de Ridley Scott, La nuit du chasseur de Charles Laughton, Le Magnifique de Philippe de Broca.
C’est d’avoir été assez convaincant pour amener un tournage d’appartement prévu sur 12 jours ou nuits en décor naturel, pour finir construit en studio avec tous les avantages, lumières, scénographie adaptée au scénario, découvertes à la carte.
Inscrire, en quelques transformations, un autre décor de cabinet médical, dans le même lieu justifié (car même avec des moyens, on vous demande de faire des économies...).
Un décor de quai portuaire avec cargo, tournage sur cinq jours et pas de cargo !
On apprend plein de choses sur le fret international maritime, la taille, le poids, le montant de la location, on rencontre des marins abandonnés, des bateaux fantômes, des armateurs méfiants, et puis miracle, on a un bateau, il arrive et on tourne demain !
J’ai y construit les décors de Coluche et préconstruit ceux de Rien a déclarer, entre autres... et après avoir fait des milliers de km pour travailler aux studios d’Arpajon, craché dans la poussière des studios d’Epinay et tenté d’aménager des friches industrielles, je peux dire que c’est l’outil le plus adapté que possède le cinéma français qui est menacé de disparaître.
Cela pour des raisons mercantiles qui mériteraient d’être creusées.
Celle qu’on n’ose pas me poser : t’as pris cher pour faire le film de Dany Boon ?
Le tarif de base de chef déco majoré de 15%.