Association des décoratrices et décorateurs de cinéma

L’interview d’Arnaud Roth

l’interview du moment | 18/06/2013

Au tour d’Arnaud Roth de se prêter au jeu du questionnaire ADC. Il a signé les décors de Né quelque part, le film de Mohamed Hamidi tourné l’année dernière au Maroc et tout juste sorti en salles.

Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Elles sont diverses et variées … Pour mes projets professionnels, je suis inspiré par la vie et par les livres.
La vie, celle que l’on voit : la coupe d’un vêtement, l’assemblage d’un meuble, la patine d’un mur, le détail d’une architecture, le travail d’un artisan, la voix d’une cantatrice, cela m’inspire.
Et puis les livres, forcément. Voir ce qui a été fait avant, voir ce qui se fait ailleurs …
Dans mes travaux personnels, je suis très sensibles et très influencé par la nature. Le mouvement gracieux d’une branche, la délicatesse d’une couleur d’un pétale, la beauté simple mais complexe de certains pelages, la force et la grâce d’un mouvement animal, tout cela m’enchante et m’inspire.

Comment exprimez-vous vos idées ou vos intentions de décor ?
Principalement par les mots. Ecris ou parlés.
Contrairement à nombre de mes consœurs et confrères, je n’ai pas le don du dessin. Donc je fais avec mes armes. Je commence toujours par écrire, cela m’aide à réfléchir.
Ensuite, je bricole, un croquis, de la 3D, un peu de photoshop, … Et je parle, j’explique, j’argumente.

Votre formation influence-t-elle votre façon de travailler ?
Oui et non. Je suis plutôt autodidacte, donc plus que ma formation, c’est mon parcours et mon expérience qui influencent ma façon de travailler. J’évolue. Ma façon d’aborder les sujet professionnels aujourd’hui est différente d’il y a quelques années. Et j’espère que cela va continuer.

De la lecture du scénario à votre dernier jour sur un film, quelle phase préférez-vous ?
Incontestablement, celle de la fabrication des décors.
Quand mes mots, mes idées, mes « risques », deviennent réalité grâce au travail et à l’implication de mon équipe.
Un chef décorateur, aussi talentueux soit-il n’est rien sans son équipe, nous faisons un travail collectif, où chacun avec sa personnalité et ses compétences enrichit les idées de départ.
Dans le prolongement de cette phase de construction, je me souviens avoir été, parfois, ému aux larmes au moment de la livraison d’un décor.
Quand Mathieu Demy ou Mohamed Hamidi sont restés sans voix devant la découverte d’un décor qu’ils n’espéraient pas aussi beau, pas aussi abouti, quand finalement ils m’ont dit leur bonheur, j’ai eu beaucoup de mal à retenir mes larmes.

Et celle que vous redoutez le plus ?
Ce moment particulier, fugace, entre la fabrication et le tournage, ce moment où après avoir livré mon décor, on m’en dépouille. Alors que nous avons, mon équipe et moi, tant investi dans sa conception et sa fabrication, quant après avoir été du plus large (la construction) au plus serré (patine, accessoirisation), nous livrons notre décor ; il appartient alors à l’équipe de tournage.
Et puis il y a aussi le démontage où en moins de 24 heures, disparaissent des semaines de travail … je n’y assiste quasiment jamais.

Long-métrages, films publicitaires, scénographies...cette diversité est-elle une volonté ou une nécessité ?
En ce qui me concerne, c’est un hasard ou plus exactement une chance. Je n’ai jamais fait de plan de carrière et je vais là où le vent, les propositions et les opportunités me portent.
C’est une chance car ces différentes expériences m’enrichissent et me permettent de développer la première qualité d’un chef décorateur : l’adaptation.
Aujourd’hui, je prends beaucoup de plaisir à faire de la pub. Dans un secteur où les enjeux ont le mérite d’être clairs, on me donne les moyens de m’exprimer.

Vos expériences à l’étranger ?
Quelques-unes …
J’ai tourné au Mexique et à Los Angeles grâce à Mathieu Demy ; j’en garde des souvenirs impérissables. Reconstruire 300 mètres de la « border line » au Mexique, au milieu de nulle part ou créer une ruelle au milieu de Tijuana, c’est assez extraordinaire. Choisir ses meubles dans les stocks des loueurs des studios de L.A. c’est inoubliable.
L’année dernière, nous avons tourné « Né quelque part » au Maroc, c’est un souvenir très, très, fort.
Depuis le début 2013, j’ai eu la chance d’aller tourner des pubs à Bangkok et à Cuba.
Partout où j’ai été tourné, j’ai eu beaucoup de chance avec mes équipes locales. J’ai rencontré d’autres cultures, d’autres femmes, d’autres hommes et j’ai découvert d’autres modes de vie, d’autres façons de travailler, de construire, de peindre … j’ai vu la bricole ingénieuse et adaptée à son environnement …
Là encore, j’ai trouvé une source d’enrichissement incroyable. Tant à titre personnel que professionnel.

Un film qui vous a marqué ou influencé ?
Il y en a évidement plusieurs … Comme ça, à brule pourpoint, je dirai :
IL ETAIT UNE FOIS EN AMERIQUE : Pour tout
OLD BOY : Pour son incroyable radicalité à l’époque de sa sortie
FIGHTER : pour l’incroyable performance de Christian Bale
IN THE MOOD FOR LOVE : pour la magnifique cohérence artistique (lumière, costumes, musiques, décors)
INDIGENES : pour sa véritable importance historique
EXODUS : parce que c’est le film que j’ai vu le plus de fois quand j’étais gamin … et puis je continue à adorer Paul Newman, et n’ai toujours pas trouvé de mec plus « class ».
INVICTUS : pour le poème de Henlay qui reste l’un de mes poème favori.

Un décor de cinéma ou une scénographie (théâtre, expo) qui vous a fait rêver ?
Tous les décors de Dean Tavoularis.

Qu’est-ce qui vous a décidé à devenir décorateur de cinéma ?
Charles NEMES ! Alors qu’après 11 années d’expériences, je ne voulais plus être 1er assistant décorateur, alors que j’envisageais même de changer de métier,(personne ne me proposait de film comme chef déco) Charles m’a téléphoné et m’a fait confiance … Merci Charles !
Un grand merci, aussi, à Mathieu Demy qui m’a permis, grâce à sa confiance et à son exigence, de m’épanouir et de me révéler à ce poste.

Quelques mots sur "Né quelque part » ?

A titre personnel, je suis très fier d’avoir participé à ce film.
Un beau scénario, qui aborde un sujet difficile, sans pathos, sans clichés et sans prétention.
Un réalisateur talentueux, un homme, simplement humble, que j’aime et que j’admire.
Des producteurs impliqués, fidèles et élégants.
Une équipe technique de professionnels investis, des comédiens de talents …
Une équipe « déco » compétente et insubmersible (spéciale dédicace à mon ami Omar).
De vrais enjeux artistiques …Bref, une expérience assez complète et extrêmement rare.
Mais en plus de ces sentiments personnels, il me semble que ce film est aussi une belle illustration de ce que peut produire notre France du XXI° siècle.
Une belle réponse aux inquiétudes, aux tensions et aux oppositions frelatées …

La question manquante à laquelle vous auriez aimé répondre ?
Où en est le Cinéma Français ?
Noyé de paradoxe, il traverse une période extrêmement inquiétante.
Si les « entrées » se portent bien, si le nombre de films produits progresse, nos métiers se meurent ! Indépendamment du sujet, très important, de la Convention Collective qui cristallise nombre d’oppositions (souvent artificielles) les délocalisations « financières » continuent à ravager nos métiers, nos talents, nos expériences … Personne ne veut aborder le vrai sujet, au cœur de tout, le financement du Cinéma Français …
Est-il normal d’avoir 5000 sociétés de production cinématographiques, uniquement en Ile de France ?
Y a t’il un sens à produire 270 longs-métrages par an, à n’importe quel prix, quand on continue à n’avoir que 52 semaines dans l’année ?
Comment continuer à accepter que des films dits « d’initiative française » soit financés par les fonds du CNC alors qu’ils sont intégralement fabriqués en Belgique et au Luxembourg ?
Est-il normal que les fonds du CNC financent, de fait, le Cinéma Belge et Luxembourgeois (qui n’existaient quasiment pas il y a 10 ans) ?
Au lieu de tenter, uniquement pour des intérêts particuliers, d’opposer réalisateurs et techniciens, essayons plutôt, tous ensemble, de réfléchir à l’avenir de notre secteur …


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