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François Abélan et et son anamorphose

A voir, à lire, à écouter | 26/04/2012

Dans un article publié le 29 novembre 2011 dans le prestigieux mensuel américain Smithsonian magazine, le critique d’art Henry Adams précise en quoi le jardin éphémère ’Qui croire ?’ créé par l’architecte François Abélanet sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris en juillet 2011 est, à son sens, une oeuvre d’art majeure. De l’influence de Le Nôtre pour cette surprenante anamorphose.

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Architecte DPLG, François Abélanet réalise des ouvrages à la croisée de l’architecture, des décors de théâtre et de cinéma et du land art. Concepteur des arches en osier de Bercy Village (XIIe arrondissement de Paris), il est également l’auteur, en juillet 2011, d’un jardin éphémère sur le parvis de l’Hôtel de Ville, véritable anamorphose végétale prenant l’apparence du globe terrestre depuis un point de vue désigné.
Mesurant en fait cent vingt mètres de long pour environ vingt mètres de large, l’ouvrage, comptant 800m3 de sable et 1.500m² de pelouse, a été mis en oeuvre par environ quatre-vingt jardiniers. Composée de dunes de sable recouvertes de pelouse, de sedum et d’arbres, l’anamorphose intitulée ’Qui croire ?’ avait nécessité cinq semaines de préparation et autant de ’construction’.

EST-CE QU’UN ’JARDIN’ PEUT ETRE LA NOUVELLE OEUVRE D’ART MAJEURE ?
Henry Adams | Smithsonian

WASHINGTON - La nouvelle oeuvre d’art majeure ? Bonne question. L’oeuvre d’art la plus intéressante et époustouflante sur laquelle je suis tombé est un remarquable jardin à Paris intitulé ’Qui croire ?’, récemment conçu et réalisé par François Abélanet.

Nous savons que la peinture crée des illusions. Mais découvrir que l’effet peut être obtenu grâce à une pelouse et des arbres est déroutant. Pourtant, tel fut le résultat du travail de François Abélanet, composé de 1.500m² de pelouse, mais aussi de terre et de paille et assemblé avec l’aide d’environ quatre-vingt jardiniers consciencieusement supervisés.

Quand vous regardiez ce jardin depuis les marches de l’Hôtel de Ville, il ressemblait à un globe terrestre. Une sphère presque parfaite dotée de lignes marquant latitudes et longitudes et plantée de deux arbres en son sommet. Cela ressemblait aux croquis d’Antoine de Saint-Exupéry dans Le Petit Prince.

Mais il suffisait de se mouvoir et son apparence changeait. Depuis n’importe quel autre point de vue, c’était un patchwork de formes irrégulières, un monde bizarrement configuré, semblant appartenir au pays des merveilles d’Alice.

02(@FrancoisAbelanet)_B.jpgAvec le jardin ’Qui croire ?’, François Abélanet a réuni deux traditions artistiques a priori divergentes : les jardins français et les anamorphoses.

Les jardins sont l’une des plus grandes réussites de la culture française, atteignant leur apogée avec André Le Nôtre (1613-1700), jardinier en chef de Louis XIV (1638-1715), notamment au château de Versailles. Le trait distinctif des jardins français est leur logique géométrique et la maîtrise des panoramas.

Depuis un point de fuite situé au centre de la grande terrasse de Versailles, le regard est dirigé le long de grandes avenues où les arbres, les étendues d’eau, les fontaines et les statues semblent s’aligner à l’infini. Heureux quand il travaillait la grande échelle, Le Nôtre a parfois déplacé des villages entiers pour créer les panoramas réguliers qu’il souhaitait.

Le Nôtre était notamment intéressé par l’impact d’effets surprenants perceptibles depuis un seul et unique endroit. Par exemple, le jardin de Vaux-le-Vicomte, conçu avant Versailles pour le Surintendant des finances Nicolas Fouquet. Tenez-vous devant la statue d’Hercule et regardez vers le château : le reflet du lointain monument flotte presque miraculeusement sur la surface d’une étendue d’eau pourtant très proche. Cela semble visuellement impossible alors qu’en fait il s’agit de la simple mise en oeuvre d’un principe défini par Descartes selon lequel « l’angle d’incidence équivaut à l’angle de réflexion ». En d’autres termes, en choisissant avec soin la bonne perspective, il est possible de percevoir le monde de façon inédite.

Ce concept d’une perspective unique est à l’origine du jardin de François Abélanet. Mais, contrairement au travail de Le Nôtre, ce jardin révèle un monde qui n’est ni prévisible ni logique mais imprévisible et sens dessus dessous. En résumé, François Abélanet combine les techniques de Le Nôtre avec une approche de la représentation habituellement réservée à la peinture, l’anamorphose.

D’origine grecque, le mot fait référence à une image nécessitant un angle de vue précis pour être perçue sans distorsion. C’est une sorte d’extrapolation loufoque des principes de la perspective, laquelle fut développée au début de la Renaissance, dans la foulée du point de fuite. Le chef d’oeuvre du genre est une imposante toile de Hans Holbein exposée à la National Gallery de Londres, Les Ambassadeurs.

Ingénieux puzzle visuel réalisé en 1533, Les Ambassadeurs montre deux personnages identifiés comme étant Jean de Dinteville - l’ambassadeur français à la cour d’Henri VIIII - et George de Selve, alors prévôt d’Auvers. Derrière eux, une table à deux plateaux est chargée de livres, de deux globes (l’un terrestre, l’autre céleste), d’instruments scientifiques, dont un astrolabe et un cadran solaire. Par ailleurs, un livre des cantiques et un luth trônent sur le deuxième plateau de la table.

Les spécialistes ont souvent discuté la signification de ces objets. Vraisemblablement, les instruments sont relatifs au monde du savoir. Le livre des cantiques et le luth semblent faire référence à la discorde entre la communauté scientifique et le clergé.

03(@FrancoisAbelanet)_B.jpgMais l’élément le plus étrange du tableau est un objet bizarrement déformé aux pieds des deux personnages, lequel, vu depuis la droite du tableau (ou la gauche du spectateur) prend la forme d’un crâne. Sans doute une allusion au fait que la mort est omniprésente mais seulement en regardant la réalité via un certain angle de vue.

La spiritualité du magnifique jardin de François Abélanet tient en partie à son aspect métaphorique et métaphysique.

Il n’y a probablement pas, de par le monde, de gouvernement aussi centralisé et bureaucratique qu’en France. Les décisions prises au sommet sont rigoureusement exécutées par la base. Il paraît qu’en entrant dans une salle de classe en France, vous trouverez les élèves en train d’étudier la même page du même ouvrage que dans n’importe quelle autre salle de cours du pays. Mais comment les gens au sommet prennent-ils leurs décisions ? Quelle est leur point de fuite ?

Le jardin de François Abélanet nous rappelle que la vue depuis l’Hôtel de Ville est très différente d’autres points de vue, qu’en fait, la logique apparente de ce point de vue peut être, vue différemment, absurde. Pour réellement embrasser la réalité, nous devons adopter différents points de vue (politiques, prenez des notes).

A l’instar des plus grandes oeuvres d’art, la création de François Abélanet est à la fois légère et fondamentale.

Henry Adams | Smithsonian | Etats-Unis
29-11-2011



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