Association des décoratrices et décorateurs de cinéma

Bienvenue dans la troisième dimension

Actualités professionnelles | 16/03/2009

Analyse > Lunettes. Malgré une poignée de problèmes techniques, Hollywood l’a décidé, 2009 sera l’année des films en relief. Revue des sorties à venir et de la batterie de moyens mis en œuvre par l’industrie.

La coïncidence ne prophétise sans doute rien, mais elle est remarquable : la semaine dernière, à Paris, deux projections de presse ont été annulées le même jour pour des raisons techniques : celles de Scar 3D et celle de Monstres contre Aliens, deux films qui sont en première ligne du grand débarquement de productions en relief numérique dont Hollywood est en train de fourbir tout un régiment. Il pourrait être tentant d’interpréter cette double défaillance comme un indice : tout ne tournerait donc pas (encore) très rond au beau pays du cinéma futur. Voire comme une preuve : des mises au point sont encore nécessaires pour permettre à cette technologie les conquêtesqu’elle nous promet. Ce serait au risque de la mauvaise foi : dans les deux cas, ce sont les projections des versions originales sous-titrées qui ont posé problème.

Sans être spécialiste, tout un chacun peut comprendre que l’opération de sous-titrage d’un film en 3D n’est pas simple, la couche « plate » et supplémentaire du texte qui vient s’incruster sur une image en profondeur menaçant d’en perturber l’effet relief. On peut légitimement grogner devant le fait probable que ce souci n’ait pas été au centre des préoccupations en amont de la chaîne, lorsqu’il s’est agi de concevoir les standards et les matériels censés remplacer la génération argentique. Et tout le monde sera d’accord pour juger que si les ressources du numérique sont aussi avantageuses qu’on ne cesse de nous le claironner, le choix entre les versions originale ou doublée d’un film en 3D devrait être aussi simple qu’une option court ou sucré.

Artillerie.Néanmoins, il y a peu de risque que ce grain de sable ne perturbe la grande machine industrielle qui s’est mise en branle. Le problème de la VO sera probablement traité en son temps, qui n’est pas prioritaire. A l’aune des superproductions globalisées qui balisent le planning des sorties en 3D des prochaines saisons, l’industrie hollywoodienne considère pour l’instant la version originale comme un marché de niche et n’est pas loin de laisser tout bonnement les distributeurs locaux souhaitant des sous-titres se démerder seuls avec leur problème. Ce qui compte aujourd’hui pour cette industrie, c’est la grande multitude populaire à laquelle sont abonnés les blockbusters mondiaux, ce public globalisé qu’il s’agit de faire passer sans casse à la fois vers le numérique (transition indolore) et, le plus régulièrement possible, vers le relief. Et c’est cette année que cette partie se joue. 2009 est en effet planifiée depuis un petit bail par les majors comme l’année du grand coming-out en trois dimensions. Celle où, après que quelques éclaireurs ont essuyé les plâtres au fur et à mesure de l’équipement des salles en projecteurs adéquats (Bienvenue chez les Robinson, Beowulf, Voyage au centre de la Terre, Volt, star malgré lui ou, dans un autre genre, le concert filmé U2 3D), c’est au tour des gros bras de venir faire leur numéro de démonstration.

Une querelle de coqs hollywoodiens, dérisoire mais symbolique, avait fait grand fracas sous les palmiers de Beverly Hills voici deux ans : Steven Spielberg et James Cameron, au nom de DreamWorks d’une part et de la Fox de l’autre, se disputaient le même créneau de sortie pour ce qui n’était alors que leurs projets 3D respectifs, Monstres contre Aliens et Avatar. Chaude ambiance dans les colonnes du magazine professionnel Variety. Même bien entamée à l’époque, la campagne d’équipement des salles américaines en projecteurs numériques ne permettait pas de prévoir un parc assez large pour absorber deux énormes lancements simultanés. Après négociations (et peut-être aussi parce qu’un délai supplémentaire l’arrangeait), James Cameron s’est finalement incliné et c’est par conséquent DreamWorks, depuis pacsé avec Disney, qui occupera la première grande scène offerte au digital 3D, selon l’expression anglophone. La sortie mondiale de Monstres contre Aliens (le 27 mars aux Etats-Unis, le 1er avril en France) aura donc lieu au printemps, prenant la planète à témoin d’une expérience industrielle en temps réel. Produit industriel répondant aux normes du blockbuster, ce film d’animation est le premier de sa catégorie 3D dont on attend des recettes équivalentes à celles d’un James Bond ou d’un Shrek. Quant à l’Avatar de Cameron, qui présente la particularité d’être en prises de vues réelles et qui est certainement l’un des films les plus attendus par l’industrie comme par le public, il formera la super-tête de gondole de Noël prochain. On peut trouver d’excellents motifs pour déplorer une fois de plus, sous cette gigantesque entreprise commerciale, ses manières d’artillerie lourde ou l’increvable impérialisme culturel qui l’anime. Mais on peut aussi retrouver là les traits d’une certaine grandeur du système hollywoodien, sa nature expérimentale obligée. Colosse darwinien qui ne fonctionne qu’à condition de toujours se maintenir au plus haut et n’assure cette pérennité que par une perpétuelle mutation-adaptation, Hollywood doit inventer pour ne pas mourir. Les moyens comme l’intendance sont secondaires, provisoires, circonstanciels. Seul compte l’intérêt supérieur de la machine, reine termite qu’il faut éternellement nourrir et irriguer.

On ne s’étonnera pas qu’Hollywood favorise intensément le développement de la filière 3D : le relief numérique est perçu à tort ou à raison comme le canal de dérivation qui va ramener vers le grand spectacle les familles dispersées sur les écrans concurrents de la télé, d’Internet et des jeux vidéo. Comment lutter contre les tentations haute définition, les symphonies en 5.1 et les feux d’artifices en Blu-ray qui sont désormais au menu de nos salons suréquipés ? Avec ce slogan d’un « spectacle total », répond l’industrie, cette promesse d’une nouvelle puissance immersive qu’apporterait le relief, lequel présente en outre l’avantage non négligeable de n’être ni reproductible à la maison (pour peu de temps, semble-t-il) ni surtout piratable (jusqu’à nouvel ordre, probablement).

Animation. Il n’aura échappé à personne que l’écrasante majorité des films en relief numérique annoncés ou déjà sortis sont des films d’animation. Depuis que ceux-ci sont réalisés en images de synthèse, c’est-à-dire conçus dès leur origine dans le cadre d’une filière numérique en trois dimensions, leur mise en relief pour une projection n’a pas représenté un défi technique insurmontable. Les films de fiction en prises de vues réelles réclament en revanche beaucoup plus d’inventivité et d’attention pour justifier l’intérêt gagné dans cette mue, mais ils sont indispensables si l’industrie veut sortir la 3D de l’effet Futuroscope ou du réseau Géode.

Scalpel. Au-delà du public familial au sens large que réunit idéalement le film d’animation moderne façon Shrek ou Wall-e, ce sont les publics d’adolescents et de jeunes adultes qui forment l’essentiel des bataillons de la fréquentation mondiale. D’un strict point de vue commercial, c’est à eux qu’Hollywood s’adresse en priorité depuis de longues années déjà et c’est donc en premier lieu cette jeunesse qu’il s’agit de convertir aux joies du cinéma en trois dimensions. Au pays de l’usine à rêves, ce genre d’équation ne se résout pas forcément avec subtilité : si l’univers de la famille et de l’enfance est identifié aux dessins animés, c’est au film d’horreur que l’on associe d’abord la culture du teenage global. D’où l’empressement des prétendants à se mettre sur les rangs du film d’épouvante en relief numérique, contemporain et saignant. Aujourd’hui même, la sortie de Scar 3D, réalisé par Jed Weintrob, offre un avant-goût, pas toujours excellent, des perspectives promises par cette tendance qui menace d’être prolifique. Le 29 avril, ce sera au tour de Meurtres à la Saint-Valentin 3D (My Bloody Valentine 3D), de Patrick Lussier, de tenter d’attirer l’attention sur son relief horrifique. Dans le même registre et à l’attention des mêmes audiences, on attend sous peu un Piranhas et un Destination finale 4, parmi une multitude de films en cours ou en projet.

On pourrait croire le genre du film d’horreur, empire des émotions fortes, prédestiné à la mutation du relief. La mèche d’une perceuse électrique venant chatouiller l’iris du spectateur ? Une hache qui s’abat sur son crâne ? Du sang qui gicle sur ses lunettes ? La vue subjective d’un scalpel menaçant perçu depuis le fond de la bouche dont il va trancher la langue ? Scar 3D peine à nous convaincre qu’il possède grâce au relief une épaisseur, une profondeur et une consistance qui lui feraient défaut s’il n’avait existé qu’en deux dimensions… Son relief est low-cost et intermittent. Le film mise sur les quelques effets scopiques évidents pendant les scènes d’action et fait poireauter en semblant penser à autre chose pendant les scènes d’exposition ou de dialogue, condamnées à l’ennui 3D. Au passage, c’est toute la leçon de Jacques Tourneur qui passe à la trappe : « Moins on en montre, plus on fait peur », recommandait en substance le réalisateur de la Féline et maître du fantastique fauché.

Crasse. Moins anecdotique qu’il n’y paraît, la question des lunettes qu’il faut chausser pour voir un film en relief mériterait de retenir toute l’attention de la profession. Elle soulève en effet des problèmes moins techniques qu’hygiéniques. La couche de gras, façon traînée de Kinder Bueno, qui obstruait presque complètement la paire qui nous a été confiée à la projection (en VO non sous-titrée) de Monstres contre Aliens témoigne de cette chaîne de conséquences : les enfants ont bien souvent les mains poisseuses et ne sont pas toujours très soigneux avec leurs affaires. Les lunettes étant prêtées avant puis récupérées après la séance, il faut songer à un moyen de les rendre propres à chaque usage. La solution « towelette » d’avion, façon rince-doigts au citron chimique distribué avec la paire de bésicles, a pour l’instant été retenue. C’est un pis-aller, qui suppose que le spectateur apprécie de nettoyer la crasse laissée par d’autres. Sans parler d’un bilan carbone vraiment pas terrible : lunettes plus lingette, cela fait beaucoup à une époque où tout gâchis est suspect. De ce point de vue au moins, la naissance d’un cinéma de masse en 3D semble ramer à contresens de l’histoire de la société de consommation.

Restent enfin les grandes et belles questions esthétiques, théoriques et poétiques que l’avènement du relief ne manque pas de charrier, mais que ni le jubilatoire et divertissant Monstres contre Aliens ni le paresseux et à peine frissonnant Scar 3D ne songent à (se) poser. Par exemple celle de cet indéniable contre-effet produit par le relief : aussi gigantesque que soit l’écran, l’image 3D sous lunettes apparaît peut-être plus nette et plus proche mais aussi rétrécie et plus étriquée dans le champ visuel du spectateur. Sans parler de l’inévitable paradoxe : jamais les plus extraordinaires technologies du numérique en trois dimensions ne parviendront à donner du relief aux films qui en manquent.

OLIVIER SÉGURET - Libération - 11/03/2009


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