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Avis de tempête sur le cinéma français !

Actualités professionnelles | 02/01/2013

LE MONDE | 01.01.2013 à 17h40 • Mis à jour le 02.01.2013 à 10h09 Par Isabelle Regnier

Le flair, le sens du timing, l’art du pitch. Si certains ignoraient que Vincent Maraval alliait dans des proportions magiques les trois qualités qui font un bon vendeur, le vacarme causé par la tribune publiée le 29 décembre dans Le Monde sous le titre "Les acteurs français sont trop payés !" le leur aura appris.

Dans ce texte, le cofondateur de la société Wild Bunch, vendeur de films et coproducteur, dénonçait le niveau aberrant de rémunération dont jouit une poignée d’acteurs français (Dany Boon en tête, qui aurait touché 3,5 millions d’euros pour Le Plan parfait, un four au box-office) pour pointer du doigt un problème plus vaste lié à la rentabilité des films nationaux et aux dysfonctionnements à l’oeuvre dans la ventilation de l’argent public. Suscitant de vives réactions, aussi bien chez les artistes que chez les financiers, aussi bien au coeur du cinéma le plus commercial que dans le milieu indépendant, il a provoqué une onde de choc d’une ampleur rarement ressentie dans le milieu.

Du côté des mécontents, on déplore la méthode. Chez Arte comme chez Canal+, on se dit choqué par le côté délateur du texte, la stigmatisation de certains acteurs. Les producteurs n’ont pas tous apprécié non plus, comme Manuel Munz, à qui l’on doit La Vérité si je mens 3, un des films dont Vincent Maraval souligne les mauvais résultats. Il reconnaît toutefois que ses acteurs, et lui-même, n’ont jamais gagné autant d’argent qu’avec ce film alors même que ses résultats en salles ont déçu. D’autres contestent les approximations du texte, lui opposent que de nombreux films français ont bien marché en 2012, et que même ceux qu’il incrimine (Astérix, Le Marsupilami, Stars 80, Les Seigneurs) peuvent être considérés comme rentables au regard de leur future carrière à la télévision et en vidéo.

"MARAVAL EST FURIEUX PARCE QU’IL A PERDU BEAUCOUP D’ARGENT." Marie Masmonteil, productrice

"Maraval est furieux parce qu’il a perdu beaucoup d’argent", commente la productrice Marie Masmonteil, qui rappelle que Wild Bunch a investi de l’argent dans la plupart des films qu’il cite. La productrice déplore surtout que ce texte laisse croire que le système d’aides publiques est une énorme gabegie alors que "à l’exception de Populaire et d’Astérix, qui ont été préachetés par France Télévisions, ces films sont uniquement financés par l’argent privé. Dans le climat actuel de détestation des nantis, avec la gauche actuelle qui n’est pas du tout favorable au cinéma français, cette tribune pourrait avoir des effets très contre-productifs".

Les détracteurs du cofondateur de Wild Bunch n’en reconnaissent pas moins, comme tous ceux qui s’enthousiasment de son coup de sang, qu’il a mis le doigt sur un vrai problème. "Il y a vingt ans que je suis dans la prod, raconte un producteur exécutif. J’ai vu passer le above the line [rémunération des producteurs, des vedettes et des réalisateurs], de 15 %-20 % à 35 %-40 % ces dernières années. Il arrive même que le financement des acteurs principaux ait été négocié avant que l’on établisse le budget. On n’a plus qu’à faire avec ce qu’il reste. Alors on attaque l’artistique, les salaires de l’équipe, le temps de tournage..."

Les salaires des têtes d’affiche sont la partie la plus visible d’une inflation qui touche aussi bien les salaires des producteurs, ceux des techniciens, les coûts de fabrication... Elle est d’autant plus préoccupante qu’elle se double d’une stagnation, et sans doute d’une contraction à venir des sources de financement : les minimums garantis versés par les distributeurs, les vendeurs internationaux, les éditeurs vidéo, sont en baisse. En tant que niches fiscales, les Soficas ont été fragilisées. Et diverses menaces planent : le projet d’extension de la convention collective à l’ensemble du secteur qui pourrait provoquer, chez les plus fragiles, un choc inflationniste ; l’augmentation de la TVA sur les billets de cinéma, qui risque de passer de 7 % à 10 % en 2014 ; le budget du CNC ponctionné, année après année, par l’Etat ; les pressions toujours plus fortes de Bruxelles... Sans parler de la contribution des chaînes de télévision, que la concurrence des nouveaux entrants de la TNT, et surtout d’Internet, va réduire à plus ou moins long terme (les obligations des chaînes sont proportionnelles à leur chiffre d’affaires).

La situation fait surtout craindre une polarisation plus grande du cinéma français entre riches et pauvres. A ce titre, la notion de budget moyen (5,4 millions d’euros) employée par Vincent Maraval pour souligner le coût des films français n’est sans doute pas la bonne. C’est plutôt à partir du budget médian qu’il faudrait penser : 3,7 millions d’euros. Comme le note le producteur Gilles Sandoz, " le budget des films d’auteur ces dernières années se situe plutôt entre 1,5 et 2,5 millions d’euros. Inutile de dire qu’à ces niveaux on ne surpaye pas les acteurs".

" IL FAUT FAIRE EN SORTE QUE L’ARGENT INVESTI DANS UN FILM SE VOIE À L’ÉCRAN !" Bertrand Bonello, réalisateur

Au milieu, les films ambitieux artistiquement et qui s’adressent à un grand public, ceux dont Pascale Ferran avait fait le coeur de sa réflexion avec le Club des 13, sont pris en tenaille. Sans doute est-ce la raison pour laquelle des cinéastes comme Patricia Mazuy, Olivier Assayas ou Bertrand Bonello soutiennent le texte de Maraval. L’auteur de L’Apollonide, qui prépare aujourd’hui un biopic d’Yves Saint Laurent, estime que Vincent Maraval " a raison de dire que le cinéma français est trop cher. Pourquoi les Américains font-ils des films de dingue à 2 millions d’euros, alors que nous, on fait l’équivalent pour 4 millions d’euros, et en plus ça ne se voit pas" ? C’est au producteur qu’il revient de se battre, estime Bertrand Bonello, pour maintenir les salaires à des niveaux raisonnables : " Il faut faire en sorte que l’argent investi dans un film se voie à l’écran ! Ce qui exige de penser autrement. Des journées de travail de huit heures dans le cinéma par exemple, c’est un non-sens. En travaillant onze heures, on réduirait la durée des tournages et le coût des films."

La réflexion du cinéaste fait écho à celle de Yann Le Quellec, directeur général de la Sofica Cinémage, sur le problème de la rentabilité des films et de la ventilation des recettes : " Faire des films moins chers où tout le monde soit payé raisonnablement en amont, et intéressé aux profits futurs, peut être dans l’intérêt de tout le monde, mais dans le système tel qu’il fonctionne, c’est impossible. Dans les grosses productions où les stars sont hyperpayées, où les producteurs, s’ils savent surfinancer le film, en profitent largement (en s’octroyant 12 % du budget en salaire producteur et frais généraux), personne ne gagne sur les profits du film parce qu’il n’y a pas de profit. Et tout le monde le sait dès le départ. C’est donc normal que les acteurs veuillent être payés avant. Pour qu’ils aient intérêt à être payés après, il faut imposer une transparence sur les recettes et sur leur répartition."

La tribune de Vincent Maraval aura eu le mérite de révéler que tout le secteur, en réalité, est engagé dans cette réflexion, et que les professionnels sont prêts, pour nombre d’entre eux, à se mettre autour d’une table pour discuter. Ce qui fait dire à Juan Branco, conseiller d’Aurélie Filippetti pendant la campagne présidentielle (non reconduit), qui avait élaboré avec elle tout un programme de refonte du système d’aide au cinéma, que cette tribune est un test pour la ministre de la culture : "On savait très bien que rien de ce que l’on avait élaboré ne pouvait se faire sans le soutien du milieu du cinéma. Si le ministère a une quelconque ambition en termes de politique culturelle, c’est maintenant qu’il peut engager les réformes."

Isabelle Regnier


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