Association des décoratrices et décorateurs de cinéma

Jérémy Streliski, à propos de Arès

En exclusivité | 26/11/2016

Paris dans un futur proche, alors que l’ordre mondial a changé. JÉRÉMY STRELISKI (ADC) nous parle des décors de ARÈS, le film de Jean-Patrick Benes actuellement au cinéma.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?
J’ai toujours été un grand amoureux des films d’anticipation et de science-fiction.
Malgré leurs écarts avec le réel, je trouve qu’ils peuvent parfois souligner ou dénoncer des choses profondes sur le monde dans lequel nous vivons.
Lorsqu’on m’a approché pour me proposer Arès, j’ai vu la possibilité dans ce script et cet univers qui était alors complètement à créer, de traiter de l’injustice de notre société, de ces deux vitesses qui régissent notre quotidien entre les élites et le peuple.
De plus, ça n’est pas tous les jours qu’on vous permet en tant que décorateur d’imaginer un monde au complet... Ca n’est peut être pas la façon la plus subtile d’exprimer toutes les nuances sociétales, mais que c’est agréable d’avoir une toile blanche sur laquelle s’exprimer !

On ne voit pas souvent une vision futuriste de Paris au cinéma. Quelle ville voulait montrer le réalisateur ?
Jean-Patrick Benes voulait un univers sombre, pas un Paris carte postale. Donc nous avons décidé de nous écarter du réel et de l’architecture haussmannienne pour créer une ville suffoquant sous le béton. En imaginant une course à l’urbanisation, avec des tours résidentielles mal entretenues et décrépies. Des bidonvilles surplombés par des écrans géants omniprésents vous vantant la dernière marque de yaourt. Une ville de l’inégalité, avec des quartiers d’affaires rutilants jouxtant la misère d’un peuple essayant de survivre.

Dès qu’une grande ville est imaginée dans un futur proche, on ne peut s’empêcher de penser à Brazil, Blade runner et aussi à Londres dans Les fils de l’homme. Vous êtes-vous positionné par rapport à ces films ?
Il est difficile de nier les influences qu’ont pu avoir l’ensemble de ces films sur l’élaboration du monde d’Arès. Aujourd’hui dans la culture populaire, lorsqu’on parle de dystopie, on pense immédiatement au film de Ridley Scott qui a façonné la vision de ce futur à la mode d’un "film noir", et dont tant d’œuvres se sont inspirées par la suite.
Nous n’avons pas échappé à la règle, nous avons créé notre vision d’un Paris futuriste en essayant d’utiliser humblement les codes si brillamment mis en place et maitrisés par Blade Runner et Children of men, tout en tentant d’y apporter nos envies.

Décor, lumière, effets visuels : vous avez travaillé main dans la main ?
Le travail lumière/décor à mes yeux est indissociable et d’autant plus lorsqu’on souhaite créer une image avec un parti pris visuel fort. La collaboration avec Jérôme Almeras, notre chef opérateur, a commencé très tôt pendant la préparation afin de penser et d’organiser ensemble la lumière et la prise de vue.
Nous avons choisi d’utiliser des lumières de décor dans le cadre pour structurer l’image et éclairer les séquences. Il a donc fallu décider ensemble de leurs dimensions, positions, température de couleur etc… utilisant parfois fois une patine un peu plus bleue ou plus verte, un cache plus ou moins opaque en fonction de la demande de la lumière.

Le travail avec les VFX (les effets visuels numériques) a hélas été un plus distant. Lors de la préparation du film, nous avons beaucoup discuté ensemble du projet, des incrustations, des découvertes (les intérieurs étant en studio) et des écrans géants à ajouter.
Pour cela, je leur ai donné des dessins d’ambiance etc... mais je n’ai pu que très rarement m’exprimer sur l’avancée des effets une fois la post-production commencée.

Dans les vues extérieures de Paris comme dans certains intérieurs, on trouve la même ambiance trouble...
La volonté était de faire un Paris sale et pollué, où l’oxygène est un luxe.
Pour cela, nous avons fait beaucoup d’extérieurs en zone couverte, sous une grande dalle en béton, pour ne pas avoir trop de ciel à l’image et obtenir la sensation d’être écrasé. Les intérieurs ont été traités sous le même prisme, avec l’accumulation d’ordures. J’ai également voulu exprimer une société qui essaye de vivre et de s’exprimer à travers la présence d’affiches et de graffitis dans ce monde gris.

Avez-vous utilisé des images de villes autres que Paris ?
La majorité des bidonvilles du film n’a pas été créée mais filmée lors des grandes manifestations en Ukraine sur la place de Maïdan au début de l’année 2014. Cela peut paraître très pragmatique, mais ce sont ces évènements qui ont été un déclic pour notre producteur.
C’est à ce moment qu’il a décidé de tout faire pour produire ce film et d’y envoyer Jean-Patrick avec un opérateur pour récupérer des images.
Il y a également des images de Chine, utilisées par l’équipe VFX pour composer les découvertes et ajouter des immeubles à la ville de Paris sur les plans aériens.

Un film d’anticipation français, cela représente un défi au niveau du budget ?
C’est peu de le dire ! Lorsqu’on a débuté la préparation du film, le budget était tel que pour la production, le studio était hors de question.
Après quelques repérages, il a été vite évident que, pour le film que nous souhaitions faire, nous devrions fabriquer intégralement plus d’une trentaine de décors. Il a alors fallu trouver de nombreuses solutions pour pouvoir tout construire sans en avoir véritablement les moyens : utiliser une usine désaffectée en guise de studio, réutiliser certains éléments fabriqués à plusieurs reprises, faire des choix économiques, etc…

Le budget du film était de 4,5M €, ce qui n’est pas rien dans l’économie du film de genre en France aujourd’hui, mais ridiculement peu face à la montagne de moyens que réclame un film en studio où tout est à créer.
Le cinéma français aujourd’hui est financé par des gens qui n’attendent que des "comédies familiales" et ne fournissent des moyens qu’à ces dernières. Il est important qu’elles existent, mais je trouve qu’on assiste à un réel appauvrissement de la diversité des productions, la règle étant souvent devenu : un film d’auteur ou non "mainstream" égale petits moyens, une comédie populaire est un film souvent surproduit.

En cours de tournage ou de préparation, un moment qui vous a donné des sueurs froides ?
Le film n’a pas connu de véritable moment de panique. Il y a eu quelques fois, surtout lors de la préparation, où nous nous sommes demandés comment on allait arriver à faire tout ce qu’on souhaitait, mais c’est plus l’ensemble et la somme des challenges qui a été à l’origine de mes peurs.

Et à l’inverse, quels ont été les moments de satisfaction ?
Pour un décorateur, ils arrivent à plusieurs moments dans la création d’un film. D’abord lorsqu’on déambule dans les décors terminés pour la première fois. De passer de l’étape du dessin et des plans jusqu’au réel autour de soi, c’est toujours un sentiment d’accomplissement comme au premier film.
La seconde grande satisfaction est quand on présente le décor achevé au réalisateur qui le découvre enfin après des semaines de préparation. Voir l’œil de son metteur en scène s’éclairer à cet instant est l’une des plus belles rétributions.
La dernière est enfin bien sûr la découverte du film fini, voir comment la toile de fond qu’on a créée s’harmonise avec les comédiens, le découpage, le rythme du montage ...
On a la chance de faire un métier merveilleux où l’on se fait plaisir en faisant plaisir.

Pour en savoir plus...http://www.adcine.com/jeremy-streliski


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