Association des décoratrices et décorateurs de cinéma

Au revoir là-haut par Pierre Quefféléan

En exclusivité | 10/01/2018

Au tour de PIERRE QUEFFELEAN (ADC) de revenir sur les décors de son dernier film sorti en salle, AU REVOIR LA-HAUT d’Albert Dupontel. Adapté du roman éponyme de Pierre Lemaître, le destin de deux soldats pendant et juste après la guerre 1914-18.

Avant d’être un film, Au revoir là-haut a été un roman puis une BD illustrée par Christian De Metter. Comment vous ont-ils inspiré ?
Au revoir là-haut était ma 2ème collaboration avec Albert Dupontel, après 9 mois ferme. Il m’avait donc déjà parlé de ce projet alors qu’il était encore en écriture, et m’avait demandé de lire le roman de Pierre Lemaitre, ce que je fis. Je l’ai dévoré…
J’ai du le lire 8 ou 10 mois avant de démarrer la prépa, je n’y suis jamais revenu pour rester concentré, et inspiré par le scénario qui était suffisamment riche et puissant pour me nourrir la tête de plein d’images.
La BD est sortie beaucoup plus tard, nous avions déjà bien commencé la préparation du film, et Albert était furieux de voir qu’elle s’était inspirée du scénario ! Je n’ai donc jamais pris la peine de la lire.

Pour reconstituer cette période précise de l’histoire, que souhaitait Dupontel sur le plan visuel ?
Lors de nos premières réunions, Albert m’a évoqué l’idée de vouloir retrouver la texture de ces films documentaires re-colorisés de la 1ère guerre mondiale. D’ailleurs nous avons vu tout ce qui existait en la matière (Apocalypse*, à voir absolument).
Après quelques essais filmés et différents étalonnages, nous avons déterminé avec Albert et Vincent Mathias, le chef opérateur, une charte des couleurs, le bleu étant la couleur qui réagissait le mieux à ce travail sur l’image. Malheureusement le résultat est timide, je n’ai pas retrouvé lors du visionnage cette volonté de « salir » l’image comme il avait été prévu de le faire. Nous avions pourtant poussé les couleurs et contrastes des décors à cet effet, et la forme narrative du film s’y prêtait très bien, puisqu’il s’agissait d’un récit puisé dans les souvenirs d’un homme. Les souvenirs ne se confondent-ils pas avec les rêves ? En partie effacés, en partie sublimés.

En 1920, l’électricité commence réellement à se développer à Paris, et la plupart des foyers ne sont pas encore équipés. On peut imaginer que la puissance ne permettait pas d’inonder de lumières les appartements. Pourtant nous avions décidés avec Albert et Vincent, pour les intérieurs des décors « hôtel particulier Péricourt » et « hôtel Lutetia », de mettre des lampes partout car Albert voulait que l’éclairage déco suffise à la lumière du film. Ce fut un travail intéressant à faire en collaboration avec Mathias et Najat, l’ensemblière.


Avez-vous suivi un storyboard ?
Albert est très précis dans son découpage et cadrages, le film a été entièrement storyboardé ! Il l’est également avec les accessoires, ce sont un peu ses « doudous », cela apaise ses inquiétudes, ou alors le contraire ! Il en a besoin très vite pour construire sa mise en scène et la gestuelle autour de ces objets. Nous avions une équipe entièrement dévolue à cette tâche, de petites mains super talentueuses pour la calligraphie, texture des papiers, couleurs des encres, patines, fabrication des objets, et recherches auprès des collectionneurs, afin d’enrichir par tous ces petits détails, l’histoire racontée.

En revanche, comme d’autres réalisateurs lors de nombreux repérages, Albert avait des difficultés à s’imaginer les décors. Il savait si l’espace proposé s’adaptait à son découpage, et comment l’utiliser pour être efficace, mais était un peu perdu quant au modelage de l’espace et à son contenu.
C’est pour cette raison que nous avons du, plus que d’accoutumée, le nourrir de dessins en quantité. J’ai eu la chance d’avoir à mes côtés des dessinateurs incroyables. Dessins au crayon, puis retouchés et colorisés sur Photoshop, plusieurs vues par décor ! L’équipe d’ensembliage nous apportait les photos des meubles et bibelots choisis pour qu’ils soient intégrés dans les dessins, afin d’obtenir des dessins le plus proche possible du résultat final.
Le temps de préparation était très court pour ce film d’époque (moins de 3 mois) et nous n’avons, à mon grand regret, fait aucune maquette des décors.

La production a manqué d’être délocalisée. Comment le film est-il revenu en France ?
Le film devait se tourner en Hongrie (tax shelter et bas salaires) offrant un attrait indéniable (?) à la production…Et des perspectives de création sans contrainte pour Albert…Il était prévu de démarrer la prépa déco en janvier 2016, en plein hiver, en Hongrie…Et je suis resté sans voix devant ces certitudes…

Nous effectuons donc deux voyages, en octobre et novembre, pour valider un certain nombre de décors, voir les studios et faire une étude budgétaire. Par chance (pour nous mais surtout pour le film), deux évènements coup sur coup vont ramener le film en France.
Notre 2e voyage s’est très mal passé. Equipe hongroise totalement désorganisée, décors validés perdus (problème d’autorisation, ou non disponibles dans nos dates), Albert n’a plus du tout eu confiance en ce paradis du cinéma annoncé.
Et puis, et surtout, le gouvernement français, suite au coup de gueule de Luc Besson, qui décide de doubler le crédit d’impôt ! Notre productrice Catherine Bozorgan, après m’avoir demandé de lui faire une estimation France, pris la décision de faire le film à Paris.
Je la remercie chaleureusement, et je suis certain que la qualité artistique n’aurait pas été la même car nous disposons en France d’un savoir-faire incroyable, des talents qui forcent mon admiration tous les jours et qui me font tellement aimer ce métier, ils me surprennent à chaque instant, je me sens comme un enfant ébahi en les observant faire. Merci pour eux.

En plus des films documentaires, quels ont été vos sources d’inspiration ou de documentation ?
Ce film nécessitait effectivement d’être très bien documenté. Je le fais seul et très en amont, c’est un moment que j’adore, boulimique et frénétique, on ouvre des portes qui vous permettent de rentrer dans des univers jamais explorés, et puis d’autres portes encore et encore, l’exploration devient machine à remonter le temps. Les décors prennent forme dans ma tête.
Merci internet ! et les librairies bien sûr, le musée de la guerre à Meaux, ils m’ont fourni notamment des scans de livrets militaires et de courriers de soldats.
J’ai constitué un album photographique de plus de 2000 photos classées par genres et décors, source d’inspiration pour Albert et pour nous tous. Toutes ces photos m’ont procuré beaucoup d’émotions, émotions que j’ai essayé de retranscrire dans les décors.
Parmi cette icono, il y avait un dossier « masques » avec beaucoup de références cubistes (Gabo, Picasso, Guia, Duchamp…) qui ont inspiré Albert. Mimi Lempicka notre créatrice de costumes lui a présenté Cécile Krétschmar qui travaille notamment à l’opéra, et qui a réalisé cette série de masques sublimes.

Comment a été décidée la part des décors en studio et ceux en décors naturels ?
Le grenier été fait en studio à Bry, c’est le décor principal, il était difficile d’imaginer et trouver un tel lieu accessible, proche de Paris, et important de pouvoir contrôler lumière et atmosphère. Il devait par ailleurs raccorder avec les façades que nous avions construites dans une cour d’un village du Vexins, pour représenter la petite place sur laquelle donne ce grenier.
En studio aussi, la terrasse du Lutetia (que l’on voit à peine dans le film) où un très beau travail de sculpture avait été fait, et le bureau de gendarmerie coloniale, ainsi que le bureau de la banque.

Quant au bureau de Péricourt, c’est un décor « studio » construit dans une salle de château, afin d’optimiser les lieux. Nous voulions donner l’impression, avec ses grands « œil de bœuf » et son plafond bas, que le bureau de Mr Péricourt se situait au dernier étage de son hôtel particulier, inspiré directement de l’actuel Art Curial au rond-point des Champs-Elysées où nous avons tourné les extérieurs.
Sur le parking des studios de Bry, reconstitution de la place Pigalle et rue coloniale avec beaucoup de fond vert pour intervention VFX. Nous nous sommes concentrés sur les sols pavés, ou en terre, les trottoirs, les parties basses, et l’accessoirisation. Ce fut un très gros travail par Mikros image sous la direction de Cédric Fayolle, et j’ai beaucoup apprécié nos échanges toujours très instructifs.

L’intervention des effets visuels a du être déterminante ?
Tous les fonds du champ de bataille ont été retouchés par Mikros image. Il a été aménagé, comme le chantier du métro d’ailleurs, dans un champ de betteraves du Vexins. A grands coups de pelleteuse, nous avons creusé les tranchées et les innombrables trous d’obus, planté plus de 200 troncs d’arbres calcinés vrais et faux, et accessoirisé le terrain de jeu de près de 2000 m2. Pour les cimetières, nous nous contentons d’une centaine de tombes à construire, les autres ont été multipliées en VFX, assez bluffant d’ailleurs.
Nous avons également tourné à Magny-en-Vexins dans une rue pavée, où nous sommes intervenus sur les façades en RDC. Les étages, et en profondeur, sont le très beau travail de l’équipe des effets visuels. A chaque fois nous avons essayé de leurs donner un maximum d’informations sous forme de dessins et références pour garder une certaine cohérence générale.

C’est absurde d’ailleurs, qu’un chef décorateur ait rarement la possibilité de suivre le travail fait en postprod, il est le garant d’une esthétique et devrait à ce titre pouvoir suivre toutes les étapes. Il a emmagasiné très en amont un savoir visuel sur un sujet, une époque, et ne pas en profiter serait du gâchis. D’autant plus que les interventions VFX prennent de plus en plus de place dans l’image, d’où la volonté avec mon équipe de leur donner le plus possible de dessins. Je regrette d’ailleurs le travail fait sur la vue en plongée de la rue marocaine, peu convaincante.

De la lecture du scénario à la projection du film, votre plus beau souvenir ?
Mon plus beau souvenir… c’est d’avoir eu cette chance de participer à la fabrication de ce film passionnant, d’avoir été entouré par une équipe déco pleine d’envies et de talents que je ne remercierai jamais assez. Je me souviens notamment du décor du chantier du métro, ce trou immense, de la boue, grue, chariots, tunnel, canalisations, cabanons, tas de pierres, si proche de ces vieilles photos que je recherchai fébrilement 10 mois auparavant.

Pour revenir en arrière, comment avez-vous débuté ?
J’ai fait les Arts déco à Paris, puis j’ai débuté dans le cinéma en tant que stagiaire peintre, puis stagiaire sculpteur, ripeur et régisseur d’extérieur, 2e assistant déco et enfin 1er assistant pendant plus de 10 ans. Je dois à Jean-Jacques Annaud de m’avoir donné ma chance et sa confiance en tant que chef déco.

Pour finir, un livre, une expo ou un spectacle qui vous aurait marqué récemment ?
Le plus beau spectacle : « Au revoir parapluie » de James Thierrée. Vous sortez de là en vous disant : « C’est génial !! J’ai encore tellement à découvrir et apprendre, je ne suis pas près de m’ennuyer »

*Série documentaire franco-canadienne de Daniel Costelle et Isabelle Clarke (2014).


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