Association des décoratrices et décorateurs de cinéma

L’interview de Stanislas Reydellet

l’interview du moment | 15/10/2013

« Le grand départ » de Nicolas Mercier est à l’affiche, avec des décors de Stanislas Reydellet, lequel n’a pu échapper à l’interview de l’ADC.

De la lecture du scénario à la projection du film, le meilleur moment sur un film ?

La fabrication d’un film est une aventure très exaltante de bout en bout. Ma réponse pourrait évidemment être la livraison d’un décor sur lequel nous aurions beaucoup travaillé et le moment ou nous en « remettons les clefs » à l’équipe de tournage.
Mais j’ai un faible pour les tout premiers repérages, période pendant laquelle nous allons mettre en place la structure artistique comme celle de la fabrication du film, et ce à un tout petit nombre (metteur en scène, 1er assistant mise en scène, chef opérateur et directeur de production) loin de la pression du tournage. C’est un moment déterminant et d’une grande intensité d’échanges.

Et le pire moment ?
Il y a souvent, dans les quelques jours qui précèdent la livraison d’un décor, un sentiment d’échec qui s’installe. Pas tant dans la qualité d’exécution mais dans la capacité à livrer le décor en temps et en heure. Je pense que ce ne doit pas être propre au département décoration mais à des positions qui, comme la notre, sont en « flux tendu » dans une sorte de grosse machine qui veut que nous ayons tous les jours (voir même plusieurs fois par jour) une échéance d’une forme toujours différente à tenir coûte que coûte.

Quelle est votre formation et en quoi influence-t-elle aujourd’hui votre travail ?
Architecte de formation comme nombre de décorateurs, je suis arrivé un peu par hasard dans le cinéma.
Les similitudes et outils de travail sont assez nombreux entre les deux disciplines (vue globale puis réduction d’échelle jusqu’au détail, plans, maquettes et esquisses) bien que l’appréhension de l’espace et sa représentation finale en sont totalement différentes, que ce soit dans la volumétrique ; la caméra impose le cadre alors que l’architecture, au mieux, le suggère et encore sans pouvoir en maitriser l’exposition à la lumière, ou encore sa temporalité ; les décors (volumes et couleurs) rentrent en résonnance les uns avec les autres suivant le fil du montage du film.
Au delà des outils, le travail des architectes, tout comme les disciplines artistiques dans le sens le plus large sont évidemment une source constante d’inspiration. A moins de travailler les décors des films auxquels l’on participe comme une « œuvre globale » et je n’en connaît pas d’exemple, il n’est pas aisé de développer dans le détail une idée graphique ou spatiale (les temps d’études sont très courts et concentrés a la différence de l’architecture), aussi je m’enrichi souvent du travail plus poussé des architectes.

Le passage de premier assistant à chef déco : une épreuve ? un plaisir ? une consécration ?
Je ne dirais pas une consécration mais un réel plaisir, c’est certain.
Les deux métiers sont assez différents. L’un consiste à organiser et compter alors que l’autre correspondrait plutôt à créer sans compter.
J’ai néanmoins pris beaucoup de plaisir, en tant que 1er assistant à me retrouver au cœur des équipes et des problématiques de tournage. C’est un poste clef au sein d’une équipe décoration et il m’a permis de travailler sur des projets de grande ampleur auxquels je n’ai pas pour le moment forcément accès en qualité de chef décorateur.
En aparté, je trouve que ce métier est sous-considéré alors que la charge de travail et les responsabilités sont considérables. C’est regrettable et je continue à me battre sur chaque projet pour que ce poste soit pris à sa juste valeur.
Après, chef décorateur au quotidien est pour moi un vrai bonheur ; être la tête d’une équipe déco qui fonctionne bien et vous accompagne dans toutes les directions que vous aurez envie d’explorer est une grande jouissance.
Sa réalité est qu’il ne faut pas seulement être créatif dans les partis pris ou les solutions à apporter mais aussi avoir une grande capacité d’écoute et d’échange avec le metteur en scène. J’ai le sentiment qu’une bonne partie du travail d’un chef décorateur relève de la politique, mais quel plaisir !

Depuis vos débuts dans le cinéma, quelle évolution avez-vous constaté dans votre métier ?
Jeune chef décorateur, j’ai le sentiment d’arriver dans une période ou l’ambition artistique des projets est le plus souvent contrainte par l’économie. Nous sommes loin du temps ou le chef décorateur, lisant un scénario puis travaillant avec le metteur en scène proposait un devis à la production selon l’idée qu’il se faisait de décors à créer.
Le système, tout au moins dans l’exercice que j’en fais, semble fonctionner maintenant plutôt à l’inverse et l’enveloppe budgétaire de la décoration est généralement déterminée avant même qu’un chef décorateur soit appelé.
La contrainte est certes intéressante mais j’ai pris pour habitude, quand je le peux, d’essayer de travailler avec les productions en bonne intelligence très en amont sur les choix de fabrication et les budgets, que je fasse à terme le film ou pas. Je reste tributaire de l’économie du film mais cela me permet d’optimiser la fabrication et d’offrir au metteur en scène le meilleur de ce que nous pouvons faire.
Cela vaut d’autant plus en publicité où tous les budgets sont verrouillés en amont par le cost control ce qui, il me semble, n’était pas systématique le cas dans les années 80/90.
Par ailleurs, il est évident que l’avènement de l’outil informatique a considérablement changé notre façon de travailler ; tout semble s’être rationnalisé à l’extrême, les temps de préparations sont devenus plus courts, les échanges plus frénétiques, … mais j’appartiens à cette génération et je n’ai qu’un vague souvenir du classeur à réglettes des assistants mise en scène.

Un évènement, une expérience...décisif dans votre décision de faire du cinéma ?
Comme je le disais précédemment, le cinéma n’était pas une vocation. Je travaillais en agence d’architecture lorsque Alain Veissier m’a proposé d’intégrer l’équipe de François Emmanuelli en tant que dessinateur sur « Peut-être » de Cédric Klapisch. Je dessinais alors des plans sur ordinateur et au lieu des trois semaines initialement prévues, je suis resté plusieurs mois sur le projet.
Cela m’a plu mais je considérais cette expérience comme anecdotique. Quelques mois plus tard, Alain m’a proposé d’intégrer l’équipe de Thierry Flamand sur « Les rivières pourpres » de Mathieu Kassovitz alors qu’au même moment, je postulais pour travailler aux côtés de Patrick Berger sur le concours du Musée des Arts Premiers. Il a fallu que je choisisse dans la journée et je n’ai encore pas eu à regretter ce choix.

Un film, ou un genre de films que vous n’avez pas encore abordé ?
J’ai été assistant de Thierry Flamand, d’Olivier Raoux dont je salue la mémoire ou encore de Philippe Chiffre, ils m’ont permis de travailler sur de multiples projets allant du film d’époque au film de genre en passant par des films contemporains à gros décors en studio, ou encore de petits aménagements en décors naturels.
Je n’ai cependant pas encore abordé le film d’anticipation et dans le registre film de genre et d’époque, mon fils de 6 ans rêve de me voir travailler sur les décors d’un peplum…

Avec Olivier Raoux, vous avez été nominé aux BAFTA pour le décor de "La môme". Que représente cette nomination pour vous ?
Olivier Raoux était un ami et cette cérémonie reste un excellent souvenir quand bien même nous en sommes repartis les mains vides. Le fait de nominer le « art director » avec le « production designer » découle d’une reconnaissance du travail propre aux productions anglo-saxonne et je serais tenté de vous renvoyer vers mon aparté sur le poste de 1er assistant.
Partager ce moment et les à-côtés avec lui a été extraordinaire, bien loin de toutes vanités.

Quelques mots sur Le grand départ, le film de Nicolas Mercier ?
« Le grand départ » est un film contemporain réaliste, dont le nombre de décors orientait le choix de fabrication vers un tournage en décors naturels.
Avec Nicolas Mercier, nous avons commencé très tôt à définir les grandes lignes de recherche de ces lieux en nous appuyant sur les références photographiques que nous avions chacun compilé.
L’un des décors était l’appartement de Nicolas que nous allions utiliser quasiment tel quel. Il faisait office de point de repère dans la gradation et la cohérence de narration des autres appartements que nous avions à trouver.
Il était comme un point de départ pour travailler la colorimétrie, les densités, brillances,… des autres décors suivant leur ordre d’apparition dans la continuité du film.
Nicolas avait une idée très précise sur l’esprit de la « maison de repos », un des décors clefs du film. Il voulait que le lieu s’apparente davantage à un grand hôtel qu’à une maison de retraite. Nous avons donc cherché du côté des résidences, hôtels de charme et très vite l’hôtel/ Résidence de Mont Royal est apparu comme une évidence. L’endroit avait le standing que nous recherchions et était une très bonne base pour y distiller des touches médicales.
Là encore, au-delà du fait que les décors soient principalement des aménagements, il n’était pas question de traiter « Le grand départ » comme un film de genre et les décors devaient s’effacer au profit de la comédie. Le parti-pris général de décoration a donc été très subtil, relevant davantage d’un travail d’équilibre des décors entre eux que d’espaces et d’axes.

La question manquante à laquelle vous auriez aimé répondre ?
A l’heure où vous essuyez les plâtres de l’extension de la nouvelle convention collective remaniée in extrémis, que pensez-vous du mouvement général des délocalisations des tournages vers les pays offrant un crédit d’impôt intéressant doublé de Tax Shelter attractive ?
Pensez vous qu’une harmonisation européenne, au delà de mesures nationales, puisse enrayer la disparition programmée d’une grande partie du corpus des ouvriers et prestataires français pourtant d’une très grande qualité ?


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