Association des décoratrices et décorateurs de cinéma

L’auto-interview du Bureau de l’ADC, 2 jours après le lancement de sa pétition.

Actualités professionnelles | 18/01/2013

Bonjour, pour commencer, racontez- nous pourquoi vous avez lancé cette pétition ?

Bureau ADC : Il ne vous aura pas échappé que depuis la déclaration de notre Ministre de la Culture qui a annoncé une probable extension de la Convention collective (CC) dite API, un torrent d’articles, d’interviews, d’analyses et de commentaires inonde les médias.
On a tout lu, tout entendu, parfois le meilleur et bien souvent le pire.
Et les rares fois où les techniciens sont mentionnés, ce n’est pas pour reconnaître leurs compétences, leur expertise, leur professionnalisme ou leur productivité ... non, quand on parle de nous c’est pour expliquer que nous sommes trop « chers ».
Nous devions donc réagir pour nous faire entendre et tordre le cou aux lieux communs et idées reçues, aux inexactitudes et aux dénigrements lus ou entendus. C’est le fond de notre démarche.
Pour ce qui est de la forme, dans la cacophonie médiatique ambiante, nous avons jugé qu’il serait contre-productif d’écrire une Nième lettre ouverte qui, si elle avait été publiée, aurait été oubliée aussi vite qu’elle aurait été lue.
Nous ne voulions pas alimenter les polémiques stériles mais plutôt nous faire entendre sur des sujets qui nous semblent primordiaux pour nos métiers ...

Vous vouliez éviter la polémique, pourtant vous n’êtes pas tendres avec les producteurs ...

Bureau ADC : Pas du tout ! Nous travaillons tous les jours avec des producteurs, et à de rares exceptions, notre collaboration se passe toujours très bien.
Nous n’attaquons pas les producteurs, nous nous permettons juste de « remettre l’église au milieu du village » :
Un producteur assure et assume le financement d’un film, c’est son choix, son rôle et sa responsabilité.
08 janvier 2012
Il n’y a rien d’offensant à dire cela !
De même qu’il n’y a rien d’offensant à dire que les techniciens et ouvriers sont engagés - par le producteur - pour participer à la fabrication d’un film, pas pour le financer !

Que voulez vous dire, précisément ?

Bureau ADC : On nous explique que le cinéma français est trop cher.

Trop cher par rapport à quoi ?

Nous savons tous que beaucoup des films produits ne sont pas rentables, et rapportent moins qu’ils ne coutent. Bref, certains producteurs nous expliquent que la solution, pour faire baisser les coûts de fabrication d’un film, serait de diminuer les salaires des ouvriers et techniciens... Ca fait des années que se font des films payés jusqu’à « à-50% », qui n’en sont pas bénéficiaires pour autant.
C’est une solution inique et inefficace ! Toutes les études s’accordent à dire que la masse salariale totale des ouvriers et techniciens représente moins de 20 % du budget global d’un film, quelque soit le budget du film. Qu’un film coûte 2 millions d’euros ou 100 millions, la masse salariale ne dépasse jamais 20 % du budget global.
Nous disons que, par principe, on ne fabrique pas ce que l’on a pas les moyens de financer.
Donc si un producteur prend la décision de produire un film (ce qui est son choix, personne ne l’obligeant) et qu’il n’a pas les moyens de le financer, alors qu’il exerce son talent à trouver les économies dans les 80% du budget qui ne concerne pas nos salaires (ou dans une réécriture de scénario moins onéreux.)
Vous remarquerez que contrairement à la mode actuelle nous n’attaquons aucune catégorie professionnelle de notre secteur.
Nous connaissons assez bien notre monde professionnel pour savoir qu’il ne se résume pas aux exceptions, nécessaires, dont les noms ont été jetés en pâture.
Vous remarquerez aussi que nous ne pleurons pas sur notre quotidien même
si, en tant que chefs de poste, nous travaillons, en moyenne, au bas mot 60 heures par semaine, payées 39 ...

Oui, oui mais revenons au sujet des salaires et du financement. Il nous a semblé que les producteurs dont vous parlez ne proposent pas vraiment de diminuer vos salaires, ils proposent de diviser les salaires en deux parties : une partie payée normalement et une partie « investie » dans le film, ce n’est pas tout à fait la même chose ?

Bureau ADC : Oui et non. Notre réponse précédente abordait la question du principe.
Soit j’ai les moyens de financer le projet que je décide de lancer, soit je me débrouille pour trouver le financement, soit je ne fais pas ce projet.
C’est ce que nous voulons dire quand nous disons : nous refusons que nos salaires soient la variable d’ajustement des budgets.
Chacun son métier, chacun ses responsabilités !
Mais revenons à votre question ... la mise en participation d’une partie de nos salaires ...
Quelle blague ! ! Parmi ceux qui proposent cette solution, nombreux sont ceux qui, depuis des années, pratiquent déjà « la mise en participation » des salaires des techniciens et ouvriers qui l’acceptent. Qu’ils nous disent combien de fois ils ont pu verser cette fameuse participation ... et surtout qu’il s’agit, de plus, d’un « couloir » de participation sur une courtes durée et sur une partie congrue des retours !
Ce système est déjà pratiqué et tout le monde sait qu’il ne fonctionne pas, pourquoi fonctionnerait-il mieux demain ?
Que les producteurs qui proposent cette solution nous donnent les vrais chiffres de leurs productions sur les cinq dernières années ... nous verrons vite celles qui sont bénéficiaires ! Derrière cette sorte d’« arnaque », il y a une question de fond qui mérite là encore une précision.
Réfléchissons deux minutes à cette proposition ... les techniciens et ouvriers investissent une part de leurs salaires dans le financement d’un film ... Si tant est que cette proposition ait un sens, elle ne pourrait être que le résultat d’un choix consenti par chacun. Si cela devenait une obligation, nous serions en dehors du principe « à travail égal, salaire égal ».
Admettons donc que des techniciens et ouvriers choisissent d’investir la moitié de leurs salaires dans le financement d’un film ... ils deviendraient alors, de fait, coproducteurs du film.
Et comme tous coproducteurs, ils auraient leur mot à dire sur la manière dont leur investissement est utilisé.
Ils devraient pouvoir participer au choix du scénario, au choix du casting, ils devraient valider ou non le budget global du film ...
Et pourtant ce n’est pas ce que nous proposent les producteurs qui soutiennent cette proposition.
Ils n’envisagent pas de partager leurs prérogatives, ce que nous pouvons très bien comprendre.
Ils veulent juste nous payer moins cher en nous promettant un intéressement sur des bénéfices qu’ils ne feront jamais ... C’est le beurre, et l’argent du beurre ! Donc, une fois encore, chacun son métier, chacun ses responsabilité.
Nous sommes des techniciens et des ouvriers pas des financiers ou des « financeurs » voire des pigeons ... si on doit participer au financement, d’une manière ou d’une autre, participons également aux décisions liées à notre investissement !

Les syndicats de producteurs opposés à la CC API disent que son extension pourrait faire disparaître 60 à 70 films « de la diversité » par an, qu’en dites vous ?

Bureau ADC : Deux remarques préliminaires, pour commencer :
1°) Si le terme diversité peut avoir un certain charme, il n’est pas en rapport ni en accord avec les films que vous évoquez.
Il est plus juste de parler de films « sous-financés ».
Ils n’ont rien de divers, tous les films sont divers, par définition, ces films
sont simplement produits avec moins d’argent qu’il n’en faudrait)
2°) D’après le CNC, Il a été produit 240 films en 2012... Bien que cela ne soit pas tout à fait notre rôle, nous nous interrogeons sur ce chiffre ... 240 films ... ça veut dire environ 5 nouveaux films français chaque semaine en 2013 ... Cela nous semble beaucoup... Pas vous ?
Pour revenir à votre question ...
Un grand nombre d’entre nous a accepté, dans sa carrière, de travailler pour des films « sous-financés » et donc de faire d’importantes concessions salariales, avec cette fameuse « mise en participation » que très et trop peu d’entre nous ont finalement touchée. Nous ne remettons pas en cause ce principe.
Mais nous contestons que ce principe devienne une norme ou une obligation. Nous souhaitons que chacun ait le choix et la liberté d’accepter ou de refuser cet investissement.
Et nous ne doutons pas qu’à l’avenir producteurs et salariés arriveront à trouver, de gré à gré, les moyens de fabriquer ces films, avec la CC API étendue.
Mais là encore bon sens, respect et mesure s’imposent.

Bon ... revenons à votre pétition, vous, ADC, déclarez soutenir la Convention Collective dite API et vous appelez à son extension dans les plus brefs délais ?

Bureau ADC : Oui

Vous n’aviez pas le même discours il y un an...

Bureau ADC : C’est vrai. Tant que ça a été encore possible, nous avons essayé de faire modifier quelques articles qui nous semblaient - et nous semblent encore ! - dangereux pour les métiers et pratiques de la branche décoration. Cette CC a finalement été signée par des syndicats de producteurs et de salariés. Depuis, elle est violemment attaquée par des syndicats de producteurs non signataires – et qui font une proposition de CC plus mortifère encore pour les salariés ! – Cette dernière recevant l’appui d’un syndicat du collège employés - pour ne pas le
nommer la CFDT - invisible dans nos métiers du cinéma !
Nous essayons donc d’être pragmatiques.
La CC API n’est pas parfaite, mais elle est beaucoup moins dommageable, elle est bien plus protectrice, que le projet de CC porté par le SPI et la CFDT.
Nous soutenons donc la CC API, nous demandons son extension et recommencerons à nous battre pour faire entendre nos revendications de branche, une fois qu’elle aura été étendue.

Très bien ... si le sujet du moment semble être la CC, pourquoi alors, parler de carte professionnelle et de délocalisations dans votre pétition ?

Bureau ADC : Mais parce que ces sujets nous concernent au premier plan !
Les délocalisations ont entrainé pour les industries techniques un manque à gagner de 196 000 000 d’euros au premier trimestre 2012 (chiffres de la FICAM). En six mois, ce n’est pas rien. ! Si on estime que 100 films ont été délocalisés en 2012, ce sont entre 3000 et 5000 postes de techniciens et d’ouvriers qui n’ont pas été pourvus, là encore ce n’est pas rien.
Souvenez-vous du bruit médiatique déclenché par les 600 licenciements à Gandrange. Là, nous nous parlons de 3000 à 5000 postes !
Les délocalisations sont un drame absolu pour nos métiers.
Dans toutes les branches, nous voyons de grands professionnels, aux CV impressionnants, contraints à vivre du RSA car le travail manque... Ça mérite qu’on en parle, non ?
Et là encore, pour nous, il s’agit d’une question de bon sens.
Pourquoi ces films délocalisés peuvent- ils bénéficier des systèmes de soutien censés aider le cinéma français ?
À l’heure ou certains défenseurs du « Made in France » se promènent en marinière avec une cafetière sous le bras, notre système de soutien finance, in fine, l’industrie cinématographique de nos voisins.
La France est le seul pays européen à se montrer aussi généreux avec ses voisins. Pourquoi ?
Quand vous recevez des financements de la Belgique vous devez dépenser ces sommes en Belgique, pareil en Allemagne, en Espagne ...
Nous n’avons rien contre les belges, les allemands ou les espagnols, mais nous demandons que la France fasse comme ses voisins.
Pour nous, un film dit d’initiative Française et qui peut donc bénéficier des systèmes de soutien financier nationaux (CNC, chaines de télévision, ...) doit être fabriqué en France ou par une équipe composée d’une majorité de français si il doit être, pour des raison scénaristiques ou artistiques, tourné à l’étranger.
Si certains préfèrent bénéficier des financements de nos voisins, ce n’est pas un problème pour nous à condition que ces films, fabriqués à l’étranger, ne soient alors pas considérés d’initiative française et financés par les fonds du CNC (qui nous le rappelons, est le Centre NATIONAL du Cinéma).
Ce principe nous semble relever du bon sens et être en accord parfait avec la doctrine de notre Ministre du Redressement Industriel.

Soit ... et cette histoire de carte professionnelle ?

Bureau ADC : Là encore, au risque de nous répéter ce n’est qu’une demande de bons sens ...
Rien ne distingue un débutant d’un ouvrier ou technicien confirmé.
Avec le système des cartes professionnelles que nous avons connu jusque dans les années 2000, les productions étaient quasiment obligées d’engager des professionnels reconnus comme chef de poste pour pouvoir bénéficier des soutiens du CNC.
Ce système n’était pas parfait mais il était protecteur pour les professionnels mais aussi pour les producteurs qui s’assuraient, grâce à ces cartes, de faire appel à des compétences basées sur la pratique et l’expérience ...
Aujourd’hui, et maintenant que tout est dérèglementé, n’importe qui peut exercer des postes à responsabilité sans y être formé ni reconnu... Nous demandons donc qu’un système de reconnaissance et de validation des parcours et des expériences, juste, cohérent et durable soit mis en place dans les plus brefs délais.

Très bien ... un dernier mot pour conclure ?

Bureau ADC : Oui. Notre pétition n’est contre personne en particulier, même si vous l’aurez compris, nous n’aimons pas être pris trop clairement pour des imbéciles.
Notre objectif est de nous faire entendre, pour la défense nos métiers, de nos savoirs et nos spécificités.
Tous, nous aimons nos métiers.
On ne fait pas ces métiers sans passion. Nous voulons être reconnus pour ce que nous sommes, de véritables professionnels, pour ce que nous fabriquons, et pour la synergie de nos savoirs.
Notre combat est le combat de tous, car à travers cette pétition c’est la qualité du cinéma français (mondialement reconnu) que nous défendons !
Nous remercions les quelques 1800 ouvriers et techniciens qui ont déjà signé et appelons tous ceux qui participent à la fabrication des films (techniciens, ouvriers, réalisateurs, comédiens, ...) à soutenir notre démarche.

Venez signer !
www.adcine.com


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